A l’occasion des 20 ans à venir de la loi de 2005 sur « l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », le Centre National pour la Création Adaptée (CNCA) organisait un colloque, le 17 mai dernier, au Sénat. Un débat sur la place des personnes atteintes de handicaps dans l’art et la culture s’est tenu.
« Nul n’est censé ignorer la loi » : il y a bien longtemps que cet adage, fondement du droit français depuis la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789, est devenu un vœu pieux.
Que ce soit du fait de l’inflation législative, ou bien encore d’une dénaturation de l’objectif premier de la loi – qui est de légiférer et non de reconnaître -, la volonté de connaissance et de respect par tous des textes législatifs, a fondu comme sénateur face à un projet de réforme de son institution.
La loi de 2005 n’a pas évité cet écueil. Deux ans après son entrée en vigueur, en août 2007, le Rapport Gohet faisait état de difficultés d’absorption des 101 articles et 110 décrets et arrêtés d’application ; le nombre ne fait pas forcément la force. Au contraire, cette nouvelle loi tentaculaire a sans doute rencontré des difficultés d’application et de mise en pratique avant tout du fait d’une lisibilité difficile face à cet amoncellement de dispositions.
En vase clos
Plusieurs personnalités issues de divers milieux participaient à ce colloque au sein du Palais du Luxembourg. Animées par la journaliste Sophie Massieu, les discussions sont allées bon train entre artistes handicapés présents pour témoigner à l’instar de la danseuse Alice Dayazoglou, artistes valides engagés dans une démarche d’inclusion comme Eric Minh Cuong Castaing, ou bien encore des chercheurs, notamment Pierre-Yves Baudot, sociologue à Paris Dauphine.
Tous s’accordent à dire qu’il reste plein de choses à faire ; pis, que nous connaissons actuellement un « recul » des droits accordés aux personnes handicapés du fait d’une « domination validiste » qui suit le même chemin que la « domination masculiniste ».
La suite des discussions ne s’est guère attelée à évoquer d’autres choses que ces anathèmes. Pas de débat de fond sur le sujet législatif, pas de remontées claires du terrain ou d’acteurs ; simplement des ressentiments, de l’émotion, des anecdotes…
On a senti beaucoup de passions dans ces échanges, mais ces derniers sont en vase clos et ne relèvent d’aucunes sources autres que ces observations personnelles.
Ces échanges auraient tout à fait pu être pertinents dans le cadre d’une table-ronde au sein des locaux bretons du CNCA. Or ici, il ne s’agissait pas de cela : au sein du Palais du Luxembourg, l’ambition était de parler d’une loi.
Conceptions antagonistes
Imagine-t-on organiser un colloque sur une question sociologique sans inviter le moindre sociologue ? Pierre-Yves Baudot désapprouverait sans doute. A raison. Or ici, cet événement présentait la même situation ubuesque : dans un colloque sur le thème d’une loi, aucun juriste !
Il n’est donc pas étonnant qu’aucune problématique de fond n’ait été véritablement abordée sous l’angle juridique.
A l’inverse, le point de vue sociologique, artistique ou bien encore associatif étaient sur-représentés. Après une première partie sur le principe du format de la table ronde, plusieurs associations se sont succédées au micro. Chacune, comme il se doit, a prêché pour sa paroisse.
Un plaidoyer défendant la « culture des personnes sourdes » a ainsi été déclamé par l’Association International virtual Theater. L’Association des personnes de petite taille (APTT) s’est quant à elle exprimée en faveur de davantage de « reconnaissance » concernant le travail des acteurs atteints par cette maladie.
Malgré leurs particularismes, toutes ont néanmoins souligné, peu ou prou, les mêmes axes de progression, et formulé des critiques semblables.
L’une des principales difficultés, aujourd’hui, se situe au niveau de la formation des artistes handicapés. L’autre angle mort, selon ces organismes, intervient dans l’accès à la culture pour cette partie discriminée de la population.
Deux conceptions principales ont été évoquées durant ces échanges afin de remédier à ces questions.
Certaines associations estiment, tout d’abord, qu’il est de la mission des Agences régionales de santé (ARS), de prendre en compte ce volet culturel. Des médiateurs pourraient ainsi être incorporés au sein de ces maisons afin de lier davantage accompagnement médical et accompagnement culturel. Une traduction juridique de ce souhait consisterait ainsi à réviser les prérogatives médico-sociales de ces institutions afin d’y intégrer un aspect culturel ou artistique.
Par ailleurs, en parallèle de cette vision qui institutionnalise la question culturelle au sein d’organismes existants, une autre conception, développée par le sociologue Baudot, envisage davantage de s’emparer de ces problématiques sous l’angle d’une « désinstitutionnalisation ». En d’autres termes, passer de l’idéologie de la protection et de l’accompagnement, à un idéal de normalisation. Les handicapés sont des êtres comme tout le monde, ils n’ont pas besoin de structures autour d’eux.
L’idée est ici d’assurer une autonomie pleine et entière aux personnes atteintes de handicaps afin, notamment, de favoriser les vocations artistiques. Ces dernières semblent en effet être, trop souvent, empêchées par ces structures étouffantes.
Protection ou inclusion
Deux conceptions de la société entrent, en réalité, en confrontation ici. L’une protectrice, qui voit dans le recours à l’Etat, une forme de protection et d’assurance ; l’autre, promouvant une totale libéralisation de l’accompagnement pour achever, supposément, la déconstruction de la « norme dominante validiste ».
On peut rapprocher ces débats à ceux entourant le principe de « l’indisponibilité de l’état de la personne ». Auparavant pierre angulaire du droit français, l’indisponibilité, soit le fait de ne pas pouvoir modifier des attributs touchant à la personne (nom, sexe, etc), est aujourd’hui profondément remise en cause par la PMA ou la GPA notamment.
Cette « indisponibilité » procède d’une idéologie, celle de la « protection » des personnes par le droit. Aujourd’hui, cette protection semble s’être dissoute dans un ensemble plus large, aux contours flous pour le droit, celui de l’« inclusion ». Un véritable attrape-tout, mot-valise, aussi imprécis que confus, ne facilitant pas sa traduction juridique.
Derrière ces différences de visions et cette évolution sémantique, l’ensemble des participants s’accordent néanmoins à dire que « le changement de paradigme » annoncé par le gouvernement, ne va pas dans le bon sens.
Les acteurs ont exprimé un profond dégoût quant à la communication politique de ces derniers temps, accusant l’exécutif de ne pas avancer, ou au contraire, d’agir dans le sens inverse de ce qu’il laisse entendre dans leurs discours.
« Zemmour était le seul » rappelle Pierre-Yves Baudot « à vouloir une école spécialisée pour les handicapés » durant la présidentielle de 2022. « Désormais, tout le monde s’autorise à en parler » , tacle le professeur de Paris Dauphine.
Ces prises de position procèdent, selon les intervenants, d’une stigmatisation exacerbée. Le terme « handicapé » même, est jugé problématique. Eric Minh Cuong Casting souligne ainsi qu’il « n’utilise pas ce terme ».
Pourtant, définir et nommer ce que l’on voit est la première étape pour reconnaître des droits ou des devoirs en droit. La loi de 2005 a ainsi eu le mérite de définir pour la première fois, de manière claire et sans détours, le handicap, comme le rappelle Serge Milano, ancien directeur du Secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, dans un article pour la revue Dalloz.
Sans définition, pas de protection envisageable. De même, sans vocabulaire clair, pas de débat possible.
C’est ce qui oppose en définitive morale et politique ; émotions et détachement : l’une s’indigne, l’autre agit.
Bien que très actif sur le terrain, le CNCA, porté par l’émotion et les ressentiments personnels, ne pourra guère participer davantage à l’évolution juridique de ce qu’il défend s’il ne prend pas en compte le nécessaire aspect dépassionné que doit adopter tout Etat législateur.
Gabriel Moser
Débat du CNCA – Colloque Inclusion, de l’accessibilité à la participation, 20 ans de la loi de 2005 dans l’art et la culture.
Tenue des débats : vendredi 17 mai 2024, Palais du Luxembourg, Paris, 75005. En présence de : Thierry Seguin, directeur du CNCA et de Jean-Luc Fichet, sénateur du Finistère et parrain de l’événement. – Animé par : Sophie Massieu, journaliste passée par Libération ou Marie Claire.