Le Mahhsa propose cet automne « Vivre en peinture — Corinne Deville (1930-2021) », une de ses rares expositions monographiques, c’est-à-dire consacrées à un seul artiste. Le Musée d’Art et d’Histoire de l’Hôpital Sainte-Anne, premier musée hospitalier en France, gagne l’appellation « Musée de France » seulement en 2016. Cependant, il organise depuis 1946 des expositions sur ce qu’on appelait alors « l’art des fous », et héberge des ateliers de création artistique destinés aux patients depuis les années 1960. En explorant les liens entre l’art et la psychiatrie, l’Hôpital Sainte-Anne interroge la marginalisation des personnes atteintes de maladies mentales. Le musée présente les œuvres pour ce qu’elles valent, sans les réduire aux conditions de leur création.
L’exposition sur Corinne Deville diffère des précédentes expositions du musée en ce que l’artiste n’a jamais été internée à l’Hôpital Sainte-Anne, et en ce que ses œuvres n’ont pas été produites dans ce cadre hospitalier. Les cartels qui la présentent ne s’étendent pas sur les éventuels troubles dont elle souffrait, probablement par respect pour la pudeur de cette femme qui n’a jamais souhaité exposer son art, et qui voulait même que l’ensemble de son œuvre soit détruite jusqu’à peu avant sa mort. Décédée en 2021, Corinne Deville n’a pas connu la célébrité de son vivant, et menait une vie très secrète.
Les motifs guerriers sont très présents dans ses tableaux, assurément en lien avec son enfance marquée par la Seconde Guerre mondiale. En effet, Corinne Deville grandit dans les Ardennes, et a 10 ans lors de l’invasion allemande. Elle prend part à l’exode vers la région parisienne, et est témoin de nombreux bombardements tout au long de la guerre. Ainsi, au sein de plusieurs de ses tableaux se cachent des silhouettes sanglantes, des soldats allemands en uniforme, ou bien des obus.
Ces compositions picturales constellées d’une multitude de petits éléments souvent symboliques sont effectuées majoritairement au crayon, au feutre ou à l’aquarelle. Cette simplicité apparente, ainsi que l’utilisation des couleurs primaires, rapproche Corinne Deville de l’art naïf. L’exposition se divise en cinq grands thèmes et motifs récurrents dans ses œuvres. La première section présente les personnages, souvent fantastiques et aux costumes colorés. Ensuite sont exposés les tableaux évoquant le voyage, tels que Le leman ci-dessous, qui aborde un drapeau suisse et célèbre ainsi son pays d’adoption.
La troisième partie se concentre sur les multiples maisons de Corinne Deville qui connut l’exil si jeune. Dans La première neige de l’automne, la demeure est au centre du tableau et s’intègre harmonieusement au paysage helvétique qui l’entoure, ainsi qu’aux nombreux animaux — qui sont un autre motif fréquent dans l’œuvre de l’artiste. Ses enfants disent avoir grandi entourés de chiens, très chers au cœur de leur mère. Certains de ses tableaux, comme La vache pensive, s’apparentent à des bestiaires dans lesquels les bêtes se métamorphosent à l’envie.
Enfin, la dernière section de l’exposition s’intitule joliment « La paix retrouvée », et regroupe les œuvres les plus tardives de Corinne Deville, effectuées à la fin de sa vie, après son déménagement en Suisse. Sa palette de couleurs s’éclaircit puisqu’elle cesse progressivement d’utiliser du noir. Les scènes représentées, souvent des pastorales, sont dans la continuité de son parcours artistique, mais reflètent un apaisement intérieur, comme ce détail du Ranz des vaches le montre.
Cette exposition poétique rend hommage à une artiste que l’on gagne à découvrir, et qui ravira tant les petits que les grands par son style candide et coloré.
Marie Agassant
Du 17 septembre 2022 au 29 janvier 2023
Centre hospitalier Sainte-Anne, 1 rue Cabanis, 75014 Paris
Ouvert du mercredi au dimanche de 13h à 18h