Placés auprès d’un prince pour le divertir, imités joyeusement en pleine fête de Carnaval, moqués, exclus, lynchés, « ces fous sont absolument partout » ironise Élisabeth Antoine-König. A la fois objets de fascination et de peur, ils ont irrigué les imaginaires des artistes et les nôtres. Du 16 octobre 2024 au 3 février 2025, vous pourrez admirer manuscrits, gravures, tapisseries ou sculptures, qui projettent des images de ces rois de la bouffonnerie, les subversifs en puissance que sont les fous.
Mais les fous d’hier sont-ils les mêmes que ceux d’aujourd’hui ? Cet automne, le Louvre leur consacre un hommage exceptionnel dans une exposition qui capte mille visages du fou, qui peuplent l’univers visuel du XIIIe au XVIe siècle. Pourtant, est-ce vraiment si lointain ? Nous n’avons qu’à regarder la publicité du chocolat Lanvin jouée par Dali pour réaliser que la figure du fou n’est pas seulement révélatrice de son époque mais inhérent à la condition humaine.
Vous vous demandez sûrement pourquoi cette omniprésence de la figure du fou dans l’art de la fin du Moyen Âge. Ils ricanent, grimacent, s’agitent dans les marges, quelle étrange clef tiennent-ils entre les mains, dans ce passage aux temps modernes ? Parce qu’il fait rire, bien sûr, avec ses grimaces et ses pirouettes, mais il est aussi tout autre chose. Dans une sensualité surprenante, et proscrite, le fou renverse tout, les valeurs, l’ordre, les certitudes. Il divertit, il dénonce, il fait trembler.
Le Hall Napoléon, rénové depuis sa fermeture, offre un espace plus grand et adapté à la scénographie pour une exposition de cette ampleur. En effet, forte de plus de 300 œuvres, prêtées par 90 institutions françaises, européennes, américaines, l’exposition vous propose un grand parcours dans l’art de l’Europe du Nord : flamand, germanique, anglo-saxon et français.
C’est un Moyen Âge que l’on découvre autrement, vif et complexe, bien plus profane que l’on voudrait le croire. Et puis, le fou disparaît, avalé par la Raison des Lumières, avant de ressurgir, farouche, au XVIIIe et au XIXe siècle.
A la Genèse de ce projet se trouvent les deux commissaires d’expositions, Élisabeth Antoine-König et Pierre-Yves Le Pogam, qui avaient travaillé tous deux au Musée de Cluny, où les arts médiévaux sont présentés sans frontière. Au Louvre, le modèle des départements contraint parfois les rapprochements spontanés. Un des enjeux était donc de montrer au public un dialogue entre sculptures et objets d’arts pour faire découvrir des aspects de cette période méconnue.
Cette ouverture n’a fait que renforcer notre appétence à regarder les œuvres modernes, figures de fou se transposant sur les artistes eux-mêmes…
Suzie Zanetta
Du 16 octobre 2024 au 3 février 2025
Musée du Louvre, 75001 Paris
Ouvert de 9 h à 18 h les lundi, jeudi, samedi et dimanche / 9 h à 21 h les mercredi et vendredi / fermé mardi
Catalogue de l’exposition : Sous la direction d’Élisabeth Antoine-König et Pierre-Yves Le Pogam. Coédition musée du Louvre éditions / Gallimard, 448 pages, 400 illustrations, 45 €.
Documentaire : Le Temps des fous – Réal. : J. Loeuille. 2024, 52 min. Coprod. Artline films, musée du Louvre, ARTE France. Première diffusion sur ARTE le dimanche 27 octobre. Disponible en ligne dès le 20 octobre : https://www.arte.tv/fr/videos/117202-000-A/le-temps-des-fous/