Étienne-Jules Marey : chronophotographie, sciences et arts

L’Université Paris Cité abrite un Musée d’Histoire de la Médecine. L’endroit est propice à la mise en avant du travail de personnalités exceptionnelles comme Etienne-Jules Marey (1830-1904)  qui fut sans doute le précurseur de la technique cinématographique même si ce sont les Frères Lumière, plus jeunes, qui ont imprimé l’histoire de leurs noms.

C’est la quatrième année que la Direction déléguée aux bibliothèques et musées de l’Université Paris Cité s’associe au festival PhotoSaintGermain et invite à cette occasion le public à découvrir sa nouvelle exposition photo.

Conçue en partenariat avec le Collège de France qui a prêté de nombreuses œuvres, « Étienne-Jules Marey : chronophotographie, sciences et arts » replace l’œuvre de ce grand scientifique dans le contexte de son époque et démontre qu’elle a rayonné dans de nombreuses disciplines.

Agathe Sanjuan, directrice du pôle patrimoine, culture et rayonnement scientifiques à la Direction générale déléguée aux bibliothèques et musées de l’Université Paris Cité, commissaire de l’exposition, a opté pour un ordonnancement chronologique et en explique chaque vitrine pendant les visites guidées.

Le visiteur est mis en garde à propos de l’emploi de certains termes à connotation raciale, tout à fait acceptables pour l’époque, choquants pour la nôtre. La rigueur historique impose de les reprendre, ce qui ne doit pas être interprété comme une caution.

Étienne-Jules Marey était avant tout un scientifique, mais aussi un médecin et un physiologiste. Il fera sa thèse de médecine, présentée dans une vitrine, sur la circulation sanguine. Mais ses recherches se focalisent surtout sur la compréhension du mouvement que nos sens ne peuvent pas saisir, et qu’il analyse à partir des traces qu’il a enregistrées.

Ne disposant pas d’instruments de mesure il en invente. Le plus célèbre est un Fusil chronophotographique et sa cartouchière qui lui a permis la mise au point en 1882 d’un procédé dénommé chronophotographie et qui est encore utilisé de nos jours.

La technique consiste à prendre en rafale des instantanés sur une même plaque fixe de verre enduite de gélatinobromure, avec un appareil de prise de vues muni d’un seul objectif, placé dans une chambre photographique mobile, qui opère sur des sujets clairs disposés devant un fond noir afin de pouvoir analyser avec précision les différentes positions des corps au cours d’un mouvement.

Passionné par ce qu’on appelle aujourd’hui la recherche fondamentale, Marey laissera à d’autres le soin de faire fructifier ses découvertes … dans l’enseignement de l’anatomie (car ses travaux sont une alternative à la vivisection), dans l’aviation, les programmes d’entraînement des soldats et des athlètes, l’usage de la bicyclette, l’utilisation de la force physique humaine et animale, la lecture labiale, l’anthropologie, et même en art moderne puisqu’il inspirera de nombreux artistes, jusqu’à Marcel Duchamp.

Il ne travaille pas isolément, s’entourant d’un réseau d’élèves et de collaborateurs. Il est parfaitement intégré à la société parisienne influente, est nommé professeur au Collège de France puis à l’Académie des Sciences. C’est un proche de plusieurs ministres, Victor Duruy comme Jules Ferry, ce qui lui vaut le financement de la Station physiologique du Parc des Princes où il mènera ses investigations en intérieur comme en extérieur. Il partage son temps avec un laboratoire privé, situé à Naples et financé par un mécène.

Il restera atypique jusqu’au bout, demeurant en marge de la communauté scientifique académique en dépit de sa renommée internationale. Le menu du banquet de la conférence « Scienta » n’est pas intéressant pour les plats servis le 17 janvier 1901 mais pour les illustrations conçues par Louis Poyet et qui résument la carrière du scientifique.

Il chronophotographiera toutes sortes d’animaux terrestres, de volatiles, de poissons (ce qui permettra d’améliorer les coques des bateaux) et de crustacés. Sa démonstration que le chat retombe toujours sur ses pattes amusera ses contemporains. On sera également très intéressé d’apprendre que pendant le galop le cheval reste un petit moment suspendu dans l’air et il étudiera l’incidence de l’alimentation sur ses performances. Le fusil ne pouvant saisir qu’imparfaitement les oiseaux trop rapides il se tournera vers l’étude de la locomotion humaine dont les mouvements sont plus maitrisables.

Son étude du mouvement est devenue obsessionnelle et il s’attachera à choisir des modèles idéaux et d’élite (jamais de personnes porteuses de handicap) mais sa position de précurseur ne permet pas qu’on lui en fasse le moindre reproche. Il était préoccupé que rien ne vienne fausser les résultats. Il étudie donc les sportifs qui présentent les meilleures performances, comme (ci-dessus) le coureur ouolof Candy exécutant un saut avec élan en 1895.

Il confia des recherches à Georges Demenÿ (1850-1917), un excellent gymnaste au demeurant, et qui fut son assistant puis le chef du laboratoire à la station physiologique du Parc des Princes (de 1880 à 1894). Il connaissait bien l’ensemble des dimensions de l’activité physique, du mouvement et de la force musculaire. D’abord associé avec Etienne-Jules il poursuivit ensuite ses propres recherches avec des physiologistes et des biomécaniciens.

Egalement technicien de la photographie, il savait adapter ou inventer des appareils lui permettant d’acquérir une connaissance cinétique du mouvement dans la marche, la course, le saut à la perche, le lancer de disque, l’escrime ou la boxe française. De la sorte, il développa une iconographie visant à améliorer la physiologie de l’effort à laquelle il donna une portée morale et patriotique en démontrant par exemple que la course en flexion était plus efficace que la marche au pas. Mais l’armée ne suivra pas ses préconisations. L’apprentissage du geste sportif sera très apprécié par contre dès la création de l’Institut du sport en 1928.

Marey inventera un système pour éviter les superpositions d’image qui gênent l’interprétation. Il ne se limitera pas à la représentation en deux dimensions, allant jusqu’à la 3D avec le zootrope.

Dans le domaine de la médecine, il miniaturise un sismographe pour mesurer le pouls, ce qui rendra grandement service aux médecins qui consultent à domicile. On peut en voir un exemplaire dans une vitrine du musée.

Ce sont surtout dans des revues grand public que paraitront ses publications, dans un souci pédagogique. De tous les sujets ce sera l’étude du vol des oiseaux qui l’occupera sa vie durant et ses travaux seront utilisés dans l’aviation.

On a ci-dessus un exemple de la Décomposition du vol du goéland, en bronze et bois, que Marey a fait réaliser en 1887 afin de visualiser en volume un cycle de battements d’ailes. La sculpture offre une vue à 360° et à l’échelle 1 du vol d’un oiseau. Cette schématisation figée est complémentaire à la synthèse animée du vol procurée par le zootrope.

Ses découvertes à propos de la force physique humaine, en particulier du forgeron, marquent le début de la science du travail qui plus tard donnera naissance au taylorisme, ce qui sera une sorte de perversion du travail de Marey puisque son excès déforme le corps de l’ouvrier.

La femme n’est visible que sur une seule série de planches montées pour l’illustration de la Danse grecque antique d’après les monuments figurés (1896). Cette série témoigne de l’intérêt de Marey pour l’art qui, après lui, poussera les peintres à abandonner l’invraisemblance de certaines poses.

La dernière oeuvre présentée dans l’exposition ne manque pas de saveur, montrant au grand jour la manière dont s’y prend un prestidigitateur pour détourner l’attention. Aucun doute que les travaux de Marey auront permis de rendre perceptible ce qui était jusque-là invisible.

Marie-Claire Poirier

du 6 novembre 2025 au 18 février 2026

Musée d’Histoire de la Médecine, 12 rue de l’école de médecine – 75006 Paris

Ouvert du lundi au samedi, de 14h à 17h30