Festival de musique : Un parfait groove pour Bourges
Pour son 41e anniversaire, le printemps de Bourges se veut comme toujours éclectique : des têtes d’affiche, des artistes moins prisés des médias, des talents labellisés Inouïs et partout des groupes à découvrir en parcourant la vieille ville.
Dès sa première édition en 1977, le festival, créait des scènes ouvertes, permettant à des musiciens inconnus de se produire. La demande pour participer à ces tremplins ne cessant de croître, l’équipe du Printemps a mis en place 28 antennes territoriales chargées de repérer les perles rares afin de les programmer durant le festival, sous l’étiquette les Inouïs. La tâche est ardue, pour cette année, ce n’est pas moins de 3500 musiciens qui ont postulé, mais seulement 33 ont été retenus pour ce Printemps 2017. L’attrait est réel, car outre un concert dans la salle 22, les artistes Inouïs bénéficient d’une tournée et de formations afin de professionnaliser leur statut d’interprète. En outre, tous les ans, l’équipe du Printemps inclut toujours d’anciens Inouïs, dans leur programmation comme cette année : Lior Shoov à l’auditorium, Johnny Mafia sur la scène ouverte, Fishbach au théâtre Jacques Cœur ou encore Petit Biscuit pour la soirée Rock’n’beat…
Outre les espaces traditionnels comme les chapiteaux, les grandes scènes, l’auditorium, le festival utilise des lieux moins attendus comme la cathédrale de Bourges, les salles du palais Jacques Cœur, le musée Estève ou encore la Halle au blé réservée pour une programmation rap et hip-hop.
Le printemps ouvrait avec Renaud et Tim Dup en première partie. Pas simple pour ce jeune auteur compositeur-interprète, pas aussi médiatique que Mister Renard, de séduire ce public de fans venu voir leur idole. Pourtant avec assurance, il a chanté ses mélodies douces, accompagnées de très jolies paroles et au fil des chansons, il a capté son auditoire aux bandanas rouges. Lorsque Renaud apparaît, il prévient « j’ai une rhinopharyngite, mais je donne tout, de toute façon vous n’êtes pas venu voir Céline Dion ou Florent Pagny ». L’assistance jubile, certains brandissent des guitares, espérant qu’elles soient dédicacées. Tout à fait approprié, il entame « Toujours debout ». La voix est rocailleuse, pas toujours juste, la main tremble, mais qu’importe, le public fidèle trépigne. Les plus mélomanes ou moins « addicts » s’éclipseront temporairement du chapiteau, lorsqu’il chantera un « Manhattan Kaboul » quelque peu faussé. Le seul moment où ce public définitivement acquis le sifflera c’est quand il annonce « je vais mettre mon tee-shirt Macron ». Mon voisin ironise, si l’alcool conduit à l’ultralibéralisme, je vais arrêter de boire. Fatigué, diminué, le loubard de 63 ans chantera néanmoins durant 2 heures et demie, devant un public heureux, reconnaissant et qui, quoi qu’il fasse, lui reste fidèle.
Mercredi, la Halle au blé entamait sa première soirée rap, devant une foule de jeunes fans. Sans surprise, Aladin 135, jouait la carte de la contestation, tout en arborant, un look travaillé, avec quelques sigles, marque de luxe. Quant à Lorenzo, il entretenait son image « d’empereur du sale » en demandant à la foule, s’il y avait des filles qu’il avait déjà pelotées. Face à cette rébellion convenue, Chilla, jeune rappeuse prometteuse, sort du lot. Avec des textes forts, elle dénonce le droit d’exister en tant que femme dans le milieu rap qui reste définitivement misogyne. Talentueuse, son flow mélange rap et lyrics. Enfant, elle pratiquait le violon et le chant. Ses parents, l’ont baignée dans le jazz, le soul et le reggae. A suivre.
Jeudi, en hommage à Barbara, disparue, il y a 20 ans, le festival présentait un spectacle intitulé « Mes hommes » comme l’une de ses chansons. Huit artistes ont repris chacun quelques-uns de ses titres, accompagné par l’excellent pianiste classique, Alexandre Tharaud et Roland Romanelli à l’accordéon. Ce dernier ayant été son compagnon a raconté quelques anecdotes sur l’icône de la chanson française. Ainsi il précisait que Barbara n’avait pas mauvais caractère, mais du caractère ou encore alors qu’ils partageaient leur quotidien, quelquefois Barbara le vouvoyait, ce qui signifiait qu’elle était en désaccord. Il commente, ce vouvoiement impose le respect de l’autre et évite les dérapages verbaux. Le répertoire de cette grande dame, sera repris par Vincent Dedienne, Vincent Delerme, Dominique A, Albin de la Simone, Pierre Guénard et Tim Dup. Enfin Julien Clerc invité surprise, chantera « Ma plus belle histoire d’amour ». Chacun interprétera avec son style les chansons, ce qui donnera une couleur inédite à cet hommage. Chacun ira de son commentaire, de son admiration. Ce fut une soirée nostalgique, ovationnée par un public debout et ravi.
Alors que se terminait cette soirée en témoignage au talent de Barbara, Laura Cahen, découverte des Inouïs en 2013, commençait sa prestation en tant que première partie de Jain. Toute habillée de noir, s’accompagnant à la guitare, elle chantait des textes poétiques et mélancoliques. Elle fut suivie de Boulevard des airs, groupe de huit musiciens chantant essentiellement en français, avec des mélodies joyeuses, rythmées, aux accents électroniques. Leurs morceaux parlent d’amour, de la vie. Dès le premier accord, le public fut charmé, il reconnaît certains titres comme « Emmène-moi ». Puis Vianney est arrivé et a enflammé la salle. Seul, sur scène avec sa guitare, cet auteur-compositeur occupe l’espace et séduit immédiatement, avec de jolies mélodies et des mots qui claquent. Il reprend ses succès et entame de nouvelles chansons qui décrivent si bien les histoires du quotidien. Clin d’œil à son auditoire, il termine par son tube « je m’en vais ».
Puis c’est l’arrivée de Jain. Cette fille brillante occupe avec grâce l’espace. Elle virevolte, saute, entraîne le public sur les rythmes de «Come » et « Makeba ». Espiègle, elle est vêtue d’un genre de barboteuse à col Claudine. Elle aime casser les clichés et a réussi à mixer des sonorités africaines et européennes dans ses créations. On sent les influences des lieux où elle a vécu Congo, Dubaï… Sa musique est comme elle, fraîche, gaie, dynamique, rythmée, un mélange parfait de pop, reggae, hip-hop, électro et soul. Fière de nous présenter ses musiciens qui ont tous le double de son âge, elle exécutera en duo avec son percussionniste, une chorégraphie très africaine. Elle s’éclipsera pour revenir à l’intérieur d’un immense ballon transparent, qui sera lâché sur le public et voguera de mains en mains.
Vendredi, c’est la découverte de Gauvain Sers aux Inouïs. Avec son look gavroche, une voix chaude accompagnée à la guitare et des textes percutants, Gauvain Sers a envoûté son auditoire. Pas étonnant que Renaud l’ait adoubé, comme la relève de la chanson française. Lorsqu’on écoute ses paroles, son phrasé, nul doute que ses berceuses d’enfance s’appelaient Brassens, Léo et Renaud. Ses mélodies interpellent, comme « mon fils est parti au djihad » ou encore l’émouvante poésie sur le quotidien d’un SDF.
Cette année, le Printemps a innové en programmant des lectures musicales.
Les Garçons Manqués, est un sublime spectacle du genre. C’est une rencontre entre un poète, Nicolas Rey et Mathieu Saïkaly, avec sa guitare. Le premier est très vieux, le deuxième est jeune et beau, dixit le tandem qui joue dans une des salles du Palais Jacques Cœur. Devant un gisant, Nicolas Rey raconte l’histoire rocambolesque d’un fonctionnaire amoureux. Mathieu Saïkaly souligne le récit en reprenant des refrains de célèbres chansons : Diane Tell, Stromae… et parfois en détournant les paroles. C’est drôle, empli de poésie, de tendresse. Les spectateurs se délectent.
Un peu plus tard dans la soirée, dans une autre salle du Palais Jacques Cœur, Virginie Despentes lisait « Requiem des innocents » de Louis Calaferte, accompagnée du groupe Zëro pour la partie musicale. L’histoire raconte l’enfance de l’auteur dans l’un des ghettos de Lyon, soit un concentré de misère, de haine, de violence et d’alcool. Pour faire vivre cette écriture abrupte, rêche, rien de mieux que le phrasé cru de Virginie, célèbre pour ses textes sans concessions redonnant une dignité aux exclus, marginaux et opprimés du système. La musique du groupe français, Zëro, postpunk avatar de Bästard, s’accorde parfaitement avec la dureté du récit. Un bémol pourtant, la voix de Virginie n’était pas assez distanciée de la musique : la faute à l’ingénieur du son, aux artistes, à la résonance de la salle ? Résultat : des mots noyés, des phrases avalées et le sentiment d’avoir perdu des instants essentiels de ce spectacle résolument incisif et décapant.
Voici un bref aperçu des six jours du Printemps de Bourges. Avec plusieurs scènes gratuites, plus de 180 artistes, répartis sur 15 lieux de concerts, c’est toute la ville qui vibre pour la musique. Sans oublier la trentaine de bars qui proposent des concerts allant du jazz, au reggae en passant par le rock, le classique, l’électronique… Ce festival mérite son titre d’incubateur de nouveaux talents.
Barbara Ates Villaudy