Cent âmes, guère plus. A première vue, le petit village de Martagny n’a qu’un intérêt pour les adeptes des coins insolites de villégiature. Perdu dans les terres du Vexin Normand, Martagny ne se dévoile qu’après d’étroites routes sinueuses. Pour tomber sur ce bourg quelque peu vallonné du fait de sa colline sur laquelle il s’adosse, il faut avoir un coup de chance… ou être un amateur de photographie. Ainsi, depuis 7 ans déjà, le Festival Photo de Martagny fait vivre cet endroit, en période estivale. Un parcours comportant neuf photographes est proposé. Les thèmes sont variés, les pratiques diverses : au cœur de la nature normande, Martgany fait se confronter les objectifs.
« Nous avons accueilli plus de 8.000 visiteurs l’an dernier ». Laurent Lucas, président du Festival, se félicite de l’engouement que suscite Martagny. « Chaque année, il nous faut un nom », afin que la proposition puisse attirer le plus de monde possible. Cette saison, à l’occasion d’une 7e édition pleine de promesses et d’ambition du côté de la présidence, le choix s’est porté sur Maurice Renoma.
Bien connu des adeptes de la photographie parisienne mais aussi, et surtout, de la mode, l’auteur du célèbre « poisson rouge », véritable mythe, a échoué à Martagny. L’affiche de l’exposition reprend d’ailleurs les codes de la photographie de Renoma ; un mélange de « transgression » avec des images subissant de nombreux montages pour casser les codes et interroger. Dans la partie que le festival lui consacre, entre autres photographies de femmes dénudées, l’on peut voir un montage de l’artiste se mettant en scène dans un corps de femme. Cet amas d’images recomposées donne à voir un bel échantillon de cette production proprement fantasmagorique.
Absence de thème, profusion de regards
« Nous sélectionnons les œuvres que nous affichons » indique Laurent Lucas. Ainsi donc, la volonté est ici de « retracer le parcours, des débuts jusqu’au dernier montage de l’artiste » afin d’avoir une vision d’ensemble de son travail.
Ce choix éditorial de la part du Festival est l’une des caractéristiques de Martagny. Le petit village normand se distingue de par sa liberté de traitement. En ce sens, « pas de thème » non plus. L’idée est davantage de mélanger les différentes approches, si bien que certains photographes se côtoient ici sans pour autant avoir de liens entre eux.
Répartis sur près de cinq hectares, l’on navigue donc entre des univers totalement différents. Après la nature féminine dénudée de Renoma, l’on se plonge par exemple dans les paysages épurés de l’Amérique signés Maxime Crozet. La solitude de l’artiste qui confie « toujours voyager seul » se ressent dans ses photos en noir et blanc. Les thèmes abordés sont classiques : le Motel, les routes désertiques à perte de vue – la fameuse 66 notamment -, mais aussi les pompes à essence.
Aux voyages
Le travail de Maxime Crozet, Roadscape, figure une Amérique à deux vitesses : oscillant entre un temps en suspension dans ces contrées arides ; un autre ou l’on sent plutôt une certaine effervescence, une rapidité, notamment représentée par ce train filant dans la nuit en plein hiver, non sans rappeler le fameux Transpercneige. « La base de mes voyages : la route, la littérature » énumère l’artiste.
Le voyage est en effet source d’inspiration, parfois aussi de guérison, de thérapie. Si l’appel de l’inconnu, de l’ailleurs, signifie la mobilité géographique, il peut également correspondre à un changement d’horizon, une ouverture spirituelle, de l’esprit. L’art peut en ce sens être une forme de bouée salvatrice
Martagny développe ce thème en faisant se confronter art et maladie. Ainsi, parmi ces neuf expositions d’artistes, une partie originale, réservée à douze jeunes issus de l’IME de Montroty, à dix minutes de Martagny, s’inscrit en ce sens. Peu de mobilité géographique pour ces néo-artistes, mais une mobilité graphique, artistique, à visée thérapeutique. « L’art-thérapie est un détour pour s’approcher de soi » définissait Jean-Pierre Klein, psychiatre.
En élargissant cette définition, l’on pourrait prétendre que la photographie est également une manière détournée de s’approcher de sa propre personne. Lorsque que l’on photographie, l’on prend au vol ce que nous ne sommes pas. Pourtant, en actionnant notre objectif et en immortalisant ce moment, l’on devient quelque part partie intégrante de cet instant. Non comme acteur agissant, mais comme spectateur authentifiant, permettant de donner une existence, une présence ; il s’agit de figer l’instant.
Le photographe nous révèle ce que nous ne voyons pas. Il devient témoin de ce qu’il a vu, de ce qu’il a voulu photographier. Ces réflexions rencontrent un écho certain dans la production du Sergent Cyrielle Sicard qui propose une sélection de photos qui viennent d’être déclassées. Cette dernière a suivi pendant plusieurs phases d’entraînement, les forces avancées de l’OTAN, aux portes de la Russie dans les pays Baltes, notamment en Estonie.
Révélations photographiques
En véritable témoin de ces mouvements se déroulant loin de nos yeux – mais près du cœur ? -, Cyrielle Sicard souligne ici ce que l’art de la photographie peut servir à révéler. En opposition totale avec l’idée de montage de Renoma, l’éclatante netteté d’une photo prise dans des tranchées, dans des camps de base, souligne la nécessité intrinsèque de la photo, à certains moments, dans certaines configurations. La photographie fait du bien, rassure autant qu’elle assure.
En scrutant les nombreux clichés présentés par le Sergent Cyrielle, l’on découvre différents exercices types des soldats. La précision des images permet de découper leurs différentes actions, leur manière d’opérer également. Une véritable immersion dans la vie d’un soldat otanien est proposée à Martagny. La terre normande reste une terre de débarquement.
Parmi les autres thèmes qu’offrent cette 7e édition, un volet plus international et humanitaire est proposé par le traitement photographique de l’allemand Philippe Blondel, mais aussi du français Alexandre Sattler.
Blondel traite, à travers un photo-reportage de terrain, de la jeunesse « en déshérence, perdue au Burkina Faso », souligne Laurent Lucas. Errance Vulnérable est à la fois une quête d’identité mais aussi une interrogation sur la jeunesse africaine de demain, sur sa vie, sa destinée. En noir et blanc, ces photographies font preuve d’un certain fatalisme, d’une faible croyance en l’avenir.
Alexande Sattler apporte, quant à lui, plus d’espérance dans son travail, Ecoliers. Comme son nom l’indique, l’artiste évoque le sujet de l’éducation et plus particulièrement de la difficulté d’en bénéficier lorsque l’on habite dans des régions aussi reculées et pauvres que le Népal ou la Birmanie. A l’instar du film Sur le chemin de l’école, l’artiste rend hommage au dévouement sans faille de ces petits écoliers qui gravissent des montagnes, avalent des kilomètres, pour avoir la chance d’étudier. Au travers d’une scénographie bien rodée, le Festival Photo Martgany termine sur une note d’espoir perçue dans ces sourires enfantins, emplis de naïveté et d’une étonnante gaieté mélancolique.
Si les productions présentées tout au long du parcours sont inégales, sur les 180 clichés exposés et les neuf univers à investir, le festival vous séduira forcément… s’il ne vous a déjà pas conquis par son cadre idyllique. Ouvert tout l’été au public, la manifestation vit grâce au soutien indéfectible des partenaires publics locaux, ainsi qu’à une « armée de bénévoles » rappelle l’édile de la commune.
Martagny : cent âmes mais pas sans.
Gabriel Moser.
Du 22 juin au 01 septembre 2024
Moulin de Martagny, 27150 Martagny.
Accès libre, 7/24.