Comment prévoir l’avenir ? Que peut-on en dire, l’anticiper, ou l’imaginer ?
L’exposition Ce que l’horizon promet, présentée à la Fondation EDF, explore les multiples formes de prévision, scientifiques, poétiques, intuitives ou critiques, à travers une riche sélection d’œuvres contemporaines.

Sous le commissariat scientifique de Gérald Bronner et artistique de Samantha Barroero l’exposition s’articule comme un véritable parcours de pensée, entre rigueur scientifique et exploration sensible. Gérald Bronner, professeur de sociologie spécialiste des croyances collectives, apporte une rigueur de recherche dans la sélection des œuvres.


Dès l’entrée, une œuvre monumentale d’Évariste Richer frappe le regard : Cyclone (2023), une spirale hypnotique composée de 69 750 dés à jouer, évoque le chaos des phénomènes naturels et les tentatives humaines de mise en ordre. Une image forte du hasard, du calcul et de l’imprévisibilité qui ouvre parfaitement le parcours de Ce que l’horizon promet.

Juste au-dessus la carte de tarot géante O Vòrtice de l’artiste brésilienne Màrcia Tiburi crée cette prévision du futur. Avec une figure de femme-chouette, incarnation de la sagesse, de l’intuition et du changement, elle invoque le futur.



L’exposition se poursuit en présentant plusieurs œuvres qui parlent de notre rapport à ce futur. Sait-on ce qui va arriver ? Comment avance-t-on sans savoir de quoi le lendemain est fait ? Dans une approche à la fois absurde et poétique, Philippe Ramette expose L’explorateur (2011), une statue d’un homme avançant à tâtons, emblème d’un futur qui se découvre à l’aveugle, avec incertitude et ténacité.

L’approche satirique de Ben fait écho à l’ironie de notre obsession du contrôle : « La catastrophe est prévisible mais invisible ». Ici, il détourne le langage rationnel pour en souligner les limites avec une pointe d’humour qui lui est propre.
Une deuxième partie de l’exposition parle d’ambiguïté, de perception, de réel et d’imaginaire.

Alice Gauthier joue sur l’évanescence avec L’épaisseur de l’ombre (2007), une œuvre réalisée in situ avec des pigments naturels non fixés. Les silhouettes sont donc insaisissables, aussi poétiquement que physiquement. Elles se révèlent ou disparaissent selon l’angle de vue, matérialisant une frontière floue entre réalité et imaginaire.


Les prédictions mathématiques et ce que l’on qualifierait de ‘rationnel’ et de ‘scientifique’ sont juxtaposées au naturel et remises en question. Paysage économique (2024) de Franck Scurti projette des courbes boursières sur des paysages, mêlant nature et abstraction économique pour souligner notre soumission aux logiques de prévision. En apposant un paysage boursier sur un paysage naturel, l’artiste questionne notre perception du réel. Dans la même logique nous retrouvons l’installation Dark Analytics (2022) de Mounir Fatmi qui poursuit cette interrogation sur les données et les algorithmes. Des graphiques complexes, semblables à des oracles technologiques, révèlent la tension entre science et croyance, rationnel et anxiété face au futur.

La matière vivante et le présent deviennent récit dans Skin Poems (2025) de Morgane Tschiember : une installation murale de polyester recouverte de cire craquelée, puis marquée de lettres au fer. Cette matière, créée par l’artiste elle-même puis craquelée sous le poids de son corps arbore un aspect de peau. Morgane Tschiember vient ensuite la retravailler avec un fer et y inscrire des mots à la manière de la vie et des expériences qui marquent le corps humain. Au-delà d’être une œuvre esthétiquement intéressante et agréable à regarder, sa matière évoque une ambiguïté et se présente comme étant le fruit d’un mouvement. Témoin d’un passé qui marque et d’un présent dynamique son œuvre mêle identité, transformation et création.

L’œuvre Dorothy Iannone and Her Friends Play The Ouija Board (1975/76–1992) est le fruit d’une documentation de séances de spiritisme en peinture. Les questions posées sont toujours les mêmes : Qu’est-ce que l’art ? Pourquoi l’art ? Quel est le futur de l’art ? Elles témoignent d’une quête intemporelle de sens, pratiquée notamment par le courant artistique de Dorothy Iannone dans les années 60, Fluxus. La pratique du ouija, que l’on y croit ou pas, représente le désir humain de comprendre le surnaturel de dialoguer entre visible et invisible, même au cœur de la création.

Zdeněk Košek, un artiste tchèque, crée des croquis de ses visions personnelles du monde et de ses dérèglements. Son œuvre est intéressante car elle se veut reflet de son cerveau : nous observons le monde à travers son cerveau, le présent et le réel en sont floutés.


Avec Lottocracy, Agnieszka Kurant imagine une gouvernance par tirage au sort à travers une machine de loto autonome. Ce dispositif ludique propose une réflexion sur la politique, le hasard, et la fabrication des décisions collectives. La machine s’active automatiquement et tire des boules de Lotto arborant une statistique sociétale. Tantôt drôle, tantôt terrifiante, chaque annonce met en lumière des possibilités et questionne l’ordre sociétal.
L’exposition est aussi enrichie de capsules vidéo avec des figures scientifiques comme Cédric Villani, qui revient sur les premières modélisations du futur via les équations différentielles, ou Émile Servan-Schreiber, qui défend l’intelligence collective comme boussole de demain.



C’est toutes ces œuvres qui dialoguent pour ouvrir un espace de débat et de réflexion intéressant. Gratuite sur réservation, la visite s’adresse à un public curieux, aux amateurs d’art comme aux passionnés de sciences et de sociologie. Des visites guidées et rencontres sont proposées pour prolonger la réflexion seul ou en groupe. Dans un monde saturé de projections anxiogènes ou fantasques, la Fondation EDF offre ici une plateforme rare de pensée critique, sensible et partagée.
Pour conclure, la vidéo Ludivine (1996) d’Ange Leccia impose un face-à-face presque mystique : une jeune femme regarde la caméra, assise sur une plage, dans un silence saisissant. Ange Leccia réussit à figer l’attente et l’émotion qui surgit de l’immobilité de son regard. Ludivine regarde par-delà la caméra scrute l’horizon pour en deviner ses promesses.
jusqu’au 28 septembre 2025
Fondation groupe EDF, 6 rue Juliette Récamier, 75007, Paris
Entrée libre et gratuite du mardi au dimanche sur réservation de 12h-19h (sauf jours fériés) – Nocturne le jeudi jusqu’à 22h – Visites guidées sur réservation.
pour une programmation d’évènements riche : https://fondation.edf.com/