Jacques de Bascher, dandy de l’ombre :
entre biographie haletante et autopsie du Paris des années 70
A travers cette biographie consacrée à l’un des personnages les plus charismatiques du Paris initié des années 70-80, Marie Ottavi revient sur cette décennie incroyable, source d’inspiration et de création inépuisable, qui marque aussi une transition entre deux mondes et deux époques.
Issu d’une famille aristocrate vendéenne, Jacques de Bascher se démarque très jeune des traditions de sa lignée. Sa fantaisie et son attirance pour les garçons s’illustrent véritablement dès son service militaire dans la Marine, où il sera à l’origine de nombreuses frasques au sein des équipages de l’Orage, navire école sur lequel il servit pendant quelques mois, jusqu’à sa mise aux arrêts.
A son retour à la vie civile, Jacques de Bascher, quitte assez rapidement l’appartement familiale de Neuilly-sur-Seine pour s’installer rue du Dragon, au cœur de Saint-Germain-des-Prés. C’est dans ce quartier, si célèbre pour son effervescence culturelle et intellectuelle, que le jeune dandy se fait remarquer par le microcosme des happy fews de la mode parisienne, dont un certain Karl Lagarfeld, à l’époque directeur artistique de la maison Chloé. C’est le début d’une histoire d’amour platonique entre les deux hommes, qui dura plus de dix-huit ans.
Les années 70 à Paris, c’est aussi la matérialisation de la liberté et notamment la liberté sexuelle, en marche depuis 1968. Jacques de Bascher, précurseur et provocateur s’il en est, participe à l’émergence de ce Paris gay qui se développe dans le quartier de l’Opéra, symbolisé à lui seul par la rue Saint-Anne. De nombreux établissements, à la renommée internationale, y ont pignon. Le plus célèbre d’entre-eux, le Sept, situé au 7 de la rue Sainte-Anne, créé par Fabrice Emaer, accueille tout le monde du spectacle et de la mode, autour de leurs deux plus grands ambassadeurs: Karl Lagarfeld et Yves Saint Laurent…
Très vite, le petit prince de la mode, successeur de Christian Dior à l’âge de vingt ans et venant de créer sa maison de haute couture quelques années plus tôt, avec son compagnon Pierre Bergé, tombe sous le charme ténébreux de Jacques, dont le pouvoir séduction irradie tout Paris ; de la rue Sainte Anne, en passant par Saint-Germain-des-Prés, jusque dans les jardins du Carrousel du Louvre, haut lieu historique des plaisirs gays de la capitale s’il en est.
Cette passion éphémère et destructrice pour Yves Saint Laurent, a été à l’origine de la rupture avec le camp de Karl Lagarfeld, symbolisée aujourd’hui encore par la vindicte de Pierre Bergé envers Jacques de Bascher.
En parallèle de cette recherche effrénée des plaisirs de la chair, la drogue tient une place particulière dans ces années d’insouciance. Rares sont les soirées parisiennes où des substances ne circulent pas. Jacques, comme la majorité de ses compères, n’échappe pas à cette règle qui tend à débrider son âme et son corps, dans des fantaisies où les limites sont sans cesse repoussées ; comme lors de la soirée Moratoire noir(e), organisée le 24 octobre 1977 à La main bleue, par Jacques et son compère Xavier de Castella. La création du Palace, quelques mois plus tard, tendra à pérenniser cette atmosphère singulière dans laquelle Jacques de Bascher évoluait comme un poisson dans l’eau.
Arrivent les années 80 qui sont tristement marquées par l’émergence d’un fléau mortel : le sida. « Parmi les gens de la nuit (comme les désignait Michel Déon), on est soit mort, soit en deuil. » Cette phrase résume à elle seule l’ampleur de cette épidémie qui décima une génération entière et transforma radicalement la société où rien ne sera plus jamais comme avant. Atteint par ce nouveau mal, Jacques se bâtit face à cette maladie, veillé par un Karl Lagarfeld des plus protecteurs, avec courage et dignité, durant plusieurs années. Il s’éteint le 3 septembre 1989 et sera incinéré avec son ours Mishka…
Cette biographie, riche de témoignages rares et précieux, rend hommage à un homme au destin singulier : dandy constamment, ombrageux assurément, Jacques de Bascher n’a eu de cesse de faire fit de la vie et du temps qui passe, pour se consacrer à sa seule passion : l’esthétisme, valeur cardinale dont il était devenu la figure de proue parisienne. Au-delà, Marie Ottavi nous emmène dans une plongée sociologique du Paris de la mode de la fin des Trente glorieuses, où la créativité supplantait toutes les règles. Plus qu’un excellent livre, cette biographie est un excellent compagnon de vacances.
Nicolas Callegari
Jacques de Bascher dandy de l’ombre
Auteur : Marie Ottavi
Edition Séguier – mai 2017