Les artistes les plus passionnants sont ceux qui doutent, ceux en capacité d’avouer leurs failles, de témoigner de leurs errements. En filigrane d’histoires qui semblent revêtir un caractère très personnel, se cachent souvent des dimensions beaucoup plus universelles. Et au-delà d’un questionnement individuel, surgit celui du sens de l’art, de sa portée à l’échelle d’une société tout entière. L’art est-il totalement gratuit, ou est-il nécessairement politique ? N’existe-t-il que pour le ravissement des sens ou doit-il porter des messages, influencer le cours de l’Histoire et accompagner les évolutions sociétales ?
Ce sont bien toutes ces questions qui se télescopent dans la nouvelle écriture de Benoît Solès, peut-être pour partie de manière inconsciente. Et lorsqu’on a assisté à sa précédente création, La machine de Turing, dont le succès ne se dément pas, les réponses apparaissent sans doute plus évidentes. Le mensonge aux autres et à soi-même teintent également le développement narratif. Ce personnage de Ed qui prétend solliciter l’aide du plus grand auteur américain au profit d’un condamné à mort, ne cache-t-il pas dans sa requête un besoin plus intime qu’il n’ose avouer de prime abord ? L’arrogance et la fatuité dont fait montre Jack London ne dissimulent-elles pas l’angoisse qui étreint bien des auteurs face à la page blanche ? Son épouse, véritable pivot de cette histoire, de ce combat, travaille dans l’ombre du génie. Le manque de reconnaissance chez une femme pourtant si moderne et active pour l’époque, constitue évidemment, aussi, un prétexte pour que les deux personnages masculins se rencontrent, se confrontent, d’abord, puis s’allient.
Dans une mise en cesse toute en nuances, en hésitations, toute en aboiements qui masquent mal les sentiments profonds, la maison incarne par sa présence massive, le symbole qu’elle représente, un quatrième personnage. Elle aussi est témoignage d’une certaine vérité et vanité d’une réussite sociale. Il fallait bien voir deux fois cette pépite aussi rare, dans une création théâtrale ayant la fâcheuse tendance à s’appauvrir sur la capitale, et surtout partir à la rencontre des trois comédiens exceptionnels pour démêler l’écheveau de La maison du loup. Vents d’Orage l’a fait pour vous :
(lien vers le fichier audio)[DF1]
Le pitch : Après La Machine de Turing (4 Molières 2019), la nouvelle création de Benoit Solès. Entrez dans La Maison du Loup, le repaire du mythique écrivain américain, Jack London ! Vous y rencontrerez sa partenaire, Charmian, et le mystérieux Ed, porteur d’un lourd secret. Dans un superbe décor, vous verrez ces trois fauves se flairer, se déchirer, puis se réconcilier. Il sera question d’amour, d’idéaux, de révolte, d’instinct de survie et de l’étincelle créatrice… Un voyage au bout duquel vous saurez comment un roman a changé la société américaine !
David Fargier
Photos : Fabienne Rapeneau
La maison du loup
Auteur : Benoit Solès – Mise en scène : Benoit Solès – Avec : Amaury de Crayencour, Benoit Solès et Anne Plantey
Jusqu’au 28 janvier 2024
du mercredi au samedi à 21h et les dimanches à 15h (sauf dimanche 31 décembre 2023, 20h30)
Théâtre Rive Gauche, 6, rue de la Gaîté 75014 Paris