C’est le fruit de plusieurs années de recherches scientifiques qui s’ouvre au Mémorial de la Shoah. À travers un parcours fort documenté, nous sommes les visiteurs d’un épisode sombre de l’histoire du marché de l’art français, des plus méconnus encore aujourd’hui.
Emmanuelle Polack, commissaire scientifique de l’exposition, nous offre un panorama de ce marché de l’art lorsqu’il était des plus florissants. Cela n’est pas sans corrélation avec le processus d’ « aryanisation » qui frappe les familles juives. Celles-ci voient leurs biens spoliés, allant des oeuvres d’art aux objets fonctionnels. Des documents d’exception démontrent l’atmosphère tendue de l’époque : d’authentiques ordonnances allemandes, des lois de Vichy, des photographies d’archives, mais également des articles de presse antisémite, des expositions de propagande contre l’art « dégénéré » des avant-gardes…
Durant l’Occupation, le régime du Führer cherche à imposer l’« art pur » dans le goût du nazisme en l’opposant à l’art dégénéré des avant-gardes parisiennes et de l’expressionnisme allemand. Par des archives inédites nous découvrons des photographies en couleurs jamais exposées montrant le Führer devant des oeuvres d’art, ou encore des écrits et articles de presse antisémites qui traduisent les opinions de l’époque.
Dans une scénographie originale, nous sommes plongés au coeur de plusieurs galeries reconstituées, dont les propriétaires sont des victimes du processus d’aryanisation qui a frappé la France. Les galeristes de confession juives ont été forcés à quitter leur commerce. On découvre tour à tour les galeries de Berthe Neil, fervente défenseur des artistes modernes dès 1910 ; celle de Pierre Loeb ou de René Gimpel. Ces reconstitutions sont mises en perspective avec les documents d’archives à l’origine de ces spoliations artistiques qui frappèrent de nombreuses familles juives.
Le passé sombre des salles de l’Hôtel des ventes de Drouot se révèle également au sein de l’exposition. Se dégage la notion de « Vente de biens israélites » qui illustre le processus connu de tous les visiteurs de l’époque. Une série de photographies nous déroule la journée du 30 octobre 1942, montrant Jean Tissier, acteur de la Continentale, passant devant des affiches indiquant « Interdiction d’entrée des Juifs à Drouot ». Là encore, de nombreux documents d’archives sont à l’appui et illustrent le processus de spoliation qui irriguait l’ensemble du marché de l’art de l’époque. Mais ce ne sont pas uniquement des tableaux qui étaient spoliés : des appareils de production, nécessaires à la vie quotidienne, étaient également saisis et revendus, fragilisant toujours plus la vie des victimes.
C’est dans un continuum, de la stigmatisation d’une population, jusqu’à sa déportation, que s’inscrit cette aryanisation du marché de l’art. Bien que, comme l’illustre l’ordonnance du 21 avril 1945, accompagnée d’autres documents d’archives, les ventes ont été cassées et les biens, en principe, restitués aux ayants droits ; dans les faits, le combat n’est pas terminé. De nombreux biens spoliés n’ont pas rejoints leurs propriétaires. La lutte se poursuit aujourd’hui encore, notamment au sein des ateliers des chercheurs de provenances. Au travers de la reconstitution de l’un d’entre eux, nous découvrons quelques grandes affaires ayant permis aux ayant-droits de récupérer leur dû, allant d’une nature morte d’Odilon Redon à un portrait de Thomas Couture.
La restitution des biens spoliés aux familles juives est un combat d’actualité : bien plus qu’un ajout à une collection, la restitution est une véritable victoire morale, une reconnaissance pour les victimes. Cette exposition nous permet de mieux comprendre le long travail des chercheurs de provenance et se propose de venir en aide aux familles qui désirent obtenir des informations sur le sujet. L’ensemble des biens ne sera peut-être pas entièrement restitué, mais c’est un combat essentiel qui nécessite d’être mieux connu du grand public.
Commissariat scientifique d’Emmanuelle Pollack
Julie Goy
Jusqu’au 3 novembre 2019
Mémorial de la Shoah
17 Rue Geoffroy l’Asnier
75004 Paris
De 10h à 18h tous les jours, sauf le samedi. Nocturne jusqu’à 22h le jeudi.
Fermetures annuelles : le 1er janvier, le 1er mai, le 14 juillet, le 15 août, le 25 décembre.
Fermetures certains jours de fêtes juives : 26 avril, 9 juin 2019, 30 septembre, 1er, 9, 14 et 21 octobre 2019 / 9, 15 avril et 29 mai 2020
Entrée gratuite