Le tour du théâtre en 80 minutes : Christophe Barbier met le théâtre dans sa poche

« La vie maquille le comédien » et le quotidien de tous s’en est trouvé changé. Illusion ou réalité ? A quel spectacle assistons-nous réellement lorsque nous nous rendons sur les planches ; et quels en sont ses rouages ? En 80 minutes, le Tour du Théâtre de l’éditorialiste politique Christophe Barbier au Poche-Montparnasse, invite à réfléchir sur tout ce qui motive le théâtre ; et ce qui nous pousse à nous y rendre.

Des masques grecs aux habits hauts en couleur du théâtre de Boulevard, jusqu’à celui expérimental balayant les codes classiques, la représentation sur les planches a toujours fasciné. Passionnant car envoûtant, séduisant car agaçant, il est bien difficile de résumer ce qu’est l’art si particulier du théâtre. Et plus encore, ce que les acteurs ressentent lorsqu’ils jouent.

Que dire du trac par exemple ? « Personne n’a jamais écrit d’essai sur le trac, relève Barbier, car le trac ne s’essaie pas, il se subit ! ». Le lever de rideau lève parfois les peurs de l’Homme, comme il peut aussi relever ses faiblesses, dévoiler son impréparation. Alors, c’est le trou de mémoire qui peut survenir ; cette « araignée » dévorante « qui vous surprend » et qui mécontente par là même les spectateurs aux humeurs irascibles.

Tapi dans l’ombre, ce monstre arachnéen comme le présente Barbier, ne laisse indemne personne. Le comédien se maquille, répète, interprète mais subit nécessairement un jour cette cuisante défaite. Il peut alors songer à la retraite. « Dites ce qui vous passe par la tête » conseille, en dernier recours, Barbier : une réplique qui est censée intervenir plus loin ou plus tôt dans l’histoire, ou bien encore « celle d’une autre pièce » liste-t-il.

Métier : comédien

En d’autres termes, il faut jouer la comédie. En toutes circonstances. La grande comédie humaine de la société, c’est bien le théâtre. Ce dernier ne fait d’ailleurs qu’un, souligne Barbier, avec « la politique et la religion », animant et déstabilisant tout à la fois, les équilibres sociétaux.

De la définition des éléments qui font le théâtre, l’éditorialiste de formation glisse, pas à pas, vers ce que représente le théâtre et par qui cette représentation procède.

On dit qu’un acteur interprète, qu’un comédien incarne, un personnage. D’autres fois cependant, on dit aussi qu’il joue, qu’il récite un rôle. Dès lors, qui supplante qui ? L’Homme fait-il le théâtre ou bien est-ce plutôt le théâtre qui fait l’Homme ?

Christophe Barbier tente indirectement de répondre à cette question en évoquant la relation entre François-Joseph Talma et Napoléon. Maître du tragique, Talma serait à l’origine de la célèbre phrase historique « Du haut de ces pyramides… (la salle complète) quarante siècles vous contemplent ». Les leçons de théâtre de l’Empereur auraient donc fait du petit soldat corse, un esprit vif et alerte, capable de déclamer à ces soldats des réflexions empruntant au chic des tirades.

Tout grand Homme a, il est vrai, une verve qui force son respect et assoit sa domination. Cette même domination qui trouve un écho certain dans les pièces qui sont jouées. Le théâtre est, en effet, avant tout analyse Barbier, une scène politique où se mêlent et s’entremêlent petites histoires de facettes et grandes critiques d’une société, irrémédiablement vue à travers les époques, comme obsolète.

Théâtre des passions

Le théâtre n’a rien d’enfantin ; qu’il soit tragique ou comique, d’un Molière à un Racine, il irrite. Barbier prend ainsi pour exemple la coutume catholique qui disposait de l’excommunication des gens du théâtre, en vigueur jusqu’au XVIIIe siècle. Blasphème !

Bien loin des étoiles du septième art se pavanant sur la Croisette de nos jours, les comédiens d’hier se savaient sur la sellette. Jouer était dangereux ; mais la vie l’est aussi, pourquoi donc s’en priver ?

Entrer en scène est donc une tâche fort hasardeuse. Sans aller jusqu’à faire une scène et verser dans la plainte, notons que le comédien peut légitimement se sentir lourd en foulant les planches. Il porte sur lui le poids de la société qu’il représente et devant laquelle il se présente. Ce « trio infernal » comme le décrit Barbier, qui regroupe théâtre, politique et religion, est embrassé par chaque acteur lors de ses représentations. Il en retire parfois des applaudissements, des ovations, mais peut tout aussi bien entrer en perdition. Si le succès est reluisant, l’échec est cuisant.

Christophe Barbier propose finalement un Tour du théâtre car le théâtre est un tout : il met en scène ce qu’il voit, la société et est apprécié par ceux qui s’y voient. En assistant à une représentation, l’on ne fait en réalité que se dévisager en regardant cet acteur qui nous porte sur scène – les meilleurs nous emportent.

Le tour du théâtre en France auquel nous invite Christophe Barbier n’est, ni plus ni moins, que celui de notre destinée à tous, oscillant entre des moments tragiques intenses ; comiques par intermittences.

Intelligent car didactique ; pinçant car véridique, Christophe Barbier nous plonge dans notre Histoire, notre théâtre à tous, cette grande scène vivante que nous incarnons, chérissons comme détestons parfois. Bref, une grande histoire d’amour, comme on en fait toujours.

Gabriel Moser

Jusqu’au 9 juillet 2024 – Tous les lundis 19h – Durée : 1h20

Théâtre du Poche-Montparnasse, 75 Bd du Montparnasse, 75006 Paris

https://www.theatredepoche-montparnasse.com/