Le CNAP (Centre national des arts plastiques) s’associe à l’Institut du Monde Arabe de Tourcoing pour l’exposition Les Sentinelles. Le titre, emprunté à une expression de l’auteur Julien Gracq, érige les artistes en tant que sismographes des dynamiques historiques et politiques qui traversent le monde arabe. Ces « veilleurs », selon les vers du poète Mahmoud Darwich — qui accueillent les visiteurs à l’entrée de l’exposition — sont les témoins d’un monde aux limites fluctuantes, et avertissent des tragédies du présent. C’est en raison de cette absence de frontière que les différents « foyers » de l’exposition ne s’organisent pas de manière historique, ni géographique, mais confrontent différentes manières de voir le monde.
Les Sentinelles se compose de nombreuses photographies et de vidéos abordant différents thèmes tels que la diaspora, la migration ou bien la résistance. L’exposition commence par une installation de Hassen Ferhani nommée 143 rue du désert, qui documente la vie dans un relais routier au bord de la Transsaharienne, la plus longue route d’Afrique. De la même manière, Zineb Sedira appréhende ces lieux et ces choses qui symbolisent le mouvement tout en étant figés, avec sa photographie The Death of a Journey, qui représente une épave de navire capturée dans une décharge en Mauritanie.
Ce rapport particulier au temps est couplé à un décentrement du regard, notamment dans les travaux à propos de la diaspora de Mohamed Bourouissa et de Ismaïl Bahri : le premier interroge l’ennui et les confrontations provoquées par l’enfermement urbain, tandis que le second offre une vision poétique de la ville en la filmant dans le reflet d’un verre d’encre.
Les artistes s’inscrivent également dans une poétique de la résistance contre le pouvoir politique ou colonial. Taysir Batniji dénonce le « mur de la honte » installé par l’État d’Israël à sa frontière avec la Cisjordanie, dans sa série Miradors, qui n’est pas seulement une tentative de typologie, mais une preuve du contrôle policier de par ses imperfections — les photos sont parfois floues ou mal cadrées, car le photographe, non accrédité, les prend sur le qui-vive.
Les visiteurs pourront également observer le travail de Raed Bawayah, artiste palestinien actuellement en résidence à la Cité des Arts de Paris, ayant passé un mois en prison pour sa série Childhood Memories qui, à travers la représentation de scènes du quotidien, alerte sur la précarité dans laquelle vivent les habitants de son village natal.
Enfin, une des œuvres les plus marquantes de cette exposition — et aussi la seule photographie de presse — est La Madone de Bentalha, prise par Hocine Zaourar. Cette image, qui semble être soigneusement composée, a pourtant été prise sur le vif, le lendemain d’un massacre de la « décennie noire », à Alger, en 1997. Longtemps censurée par le pouvoir algérien, car elle démontre à quel point le peuple était pris en étau entre les violences des groupes terroristes et les représailles gouvernementales, elle gagnera le prix World Press Photo.
Le regard occidental associe tout de suite cette photographie à une image de la Vierge Marie, de par son iconographie chrétienne. Cela interroge le visiteur sur son point de vue : il ne peut s’empêcher d’imposer sa vision du monde sur ce qu’il voit. Mais l’exposition, par le choix de n’exposer que des artistes originaires des pays qu’ils photographient, rend aux communautés dépeintes leur statut de sujet. Les visiteurs ne sont pas seulement spectateurs des photographies et vidéos présentées : ils adoptent également le regard de ces sentinelles du monde arabe.
Marie Agassant
du 17 septembre 2022 au 12 février 2023
IMA, 9 rue Gabriel Péri, 59200 Tourcoing
Ouvert du mardi au dimanche de 13h à 18h