La foire Loop s’est imposée ces dernières années comme représentante majeure de l’art vidéo en Espagne – elle occupe une place hégémonique à Barcelone – réunissant depuis 2003 des galeries internationales. Pour sa 20ème édition, du 15 au 17 novembre dernier, elle a repris ses quartiers au luxueux Almanac Hotel de Barcelone, après deux éditions bouleversées par la pandémie, qui se sont tenues au Musée d’Histoire de Catalogne et à La Pedrera-Casa Milà. Les visiteurs ont pu redécouvrir l’ambiance feutrée et intimiste des chambres de l’hôtel, transformées en stands, où chaque galerie a projeté une vidéo de l’artiste qu’elle représente.
La foire Loop est unique en son genre car, bien qu’étant une foire marchande dédiée aux collectionneurs, elle met un point d’honneur à célébrer l’art vidéo avec un plus grand public, grâce au Loop Festival, qui propose des animations dans toute la ville durant deux semaines (du 8 au 20 novembre dernier).
Les 43 galeries internationales présentes cette année ont montré des oeuvres très diverses, allant du film documentaire au film d’animation, de la vidéo de réalité virtuelle à la vidéo abstraite. Parmi ces nombreuses et riches propositions, quelques-unes ont particulièrement retenu notre attention.
The Mirror People (2021), Clément Safra – Galerie Kokanas (Marseille)
La mise en scène de la vidéo est le premier élément qui nous marque : à partir d’un dispositif de cristaux de verre, Clément Safra projette comme des éclats, des bribes de son film sur les murs de la chambre, attirant le regard sur certains détails qui envahissent l’espace. Cette invasion fait écho au synopsis du film, qui relate qu’au pays khmer, il est raconté que « des monstres vivaient jadis de l’autre côté des miroirs », et qu’ « une nuit, les monstres traversèrent les miroirs et envahirent le monde ». Filmée au Cambodge, l’oeuvre nous plonge dans une fable tout aussi fantastique qu’inquiétante, où la violence est tapie dans l’ombre, prête à faire surface à tout instant.
Dunking Island (2022), Capucine Vever – Galerie Eric Mouchet (Paris)
Dans cette oeuvre vidéo, le public est transporté au coeur d’une dérive en Atlantique nord, dans la baie de Dakar au Sénégal. Particulièrement poétique, l’oeuvre de Capucine Vever personnifie l’océan, magnifiant son bleu profond et ses mouvements, son immensité et sa riche biodiversité, qui demeure malgré tout si fragile, avec ses trafics et sa pollution, qui détruisent peu à peu son équilibre. Le paysage est central dans les travaux de l’artiste et, avec cette oeuvre, elle réalise un véritable tour de force en mettant en lumière l’île de Gorée, qui subit dans un grand silence international la destructrice montée des eaux.
Our Solo (2021), Annika Kahrs – Produzentengalerie (Hambourg)
Entre l’installation vidéo et l’installation sonore, le projet d’Annika Kahrs, qui a présenté son travail cette année à la Biennale de Venise, est pensé comme une véritable expérimentation musicale. Confrontant la perception de la musique dans une salle de concert classique à celle de la musique jouée dans un cadre privé, l’artiste semble souligner la transcendance de la musique dans ses différents aspects, une démarche particulièrement caractéristique de son oeuvre, ses films examinant toujours la représentation et l’interprétation des choses.
Universal Tongue (2022), Anouk Kruithof – Galerie Valeria Cetraro & Gallery Sofie Van de Velde (Paris)
Ce long-métrage de 4 heures (faisant partie d’une série de huit films de 4 heures chacun !) vous fera certainement sourire. Ce très grand projet de l’artiste visuelle Anouk Kruithof est une collection de 8 800 vidéos de danse collectées sur Youtube et Instagram par 50 chercheurs localisés à travers le monde. L’artiste célèbre ainsi la grande diversité de la danse, dont un large panorama peut être dressé en fouillant sur internet. Ces vidéos sont à la fois des symboles d’expression de soi-même, de partage d’identité culturelle, de pouvoir et d’amusement. Dans ce monde de la danse, il n’existe plus de catégorisation de lieu ou de culture : tout un chacun y devient un danseur, réaffirmant son unicité dans la globalité.
Julie Goy