Maury Samuel : un voyage pictural entre inconscient et révélation

Peut-on prétendre peindre ce qui n’a pas encore pris forme ? L’artiste Maury Samuel nous fait entrer en dialogue avec son inconscient à travers son acte de création plastique. La naissance de ses œuvres se fait sans préméditation. Dans un jeu d’apparitions et de révélations, il compose ses peintures par superpositions et mutations successives, jusqu’à ce qu’une forme surgisse aux yeux du regardeur. Il ne s’agit plus de peindre pour illustrer, mais de s’abandonner, laissant émerger la forme que notre esprit attribuera, malgré nous, à ses constructions abstraites.

D’un monde structuré à l’explosion de couleurs – quand la forme surgit de l’informe

Maury Samuel fait partie de ces artistes qui ne se conforment à aucun parcours académique classique. Sa vie avant la peinture et l’écriture était ancrée dans le monde de l’entreprise high-tech, empreint de rationalité. Ses pieds étaient fermement ancrés sur terre. Après avoir fondé une famille et vu ses enfants grandir, être entré dans un schéma dit « classique », il décide de quitter cette conformité pour s’évader – vers un au-delà artistique, vers les idées, où il cherche à découvrir et révéler son « soi » intime dans l’art. Après la publication de deux livres, ce n’est qu’en 2017 que Maury Samuel s’essaie à la peinture comme moyen d’expression, et ce, sans avoir suivi de formation académique.

Passionné de littérature britannique et de philosophie, qu’il a étudié à Columbia et Oxford, il ne retranscrit pas directement ses lectures dans ses peintures, mais en absorbe l’essence. À travers son art, il ne vise pas à formuler une vérité absolue, mais plutôt à projeter un fragment de son propre monde intérieur. Chaque toile devient un instant figé, pourtant réinventée perpétuellement par la vision de l’autre, qui en propose une nouvelle interprétation à chaque regard.

Peindre l’invisible : la place du spectateur dans l’œuvre

Les formes et significations découlant de l’art de Maury Samuel ne s’imposent pas, mais s’offrent. Ses peintures n’ont nullement la prétention de dicter une vision imposée par le peintre, mais accueillent les projections intérieures du regardeur. Maury Samuel dit qu’il lui arrive parfois de modifier jusqu’au titre de ses œuvres en fonction des interprétations de ses proches – preuve d’une ouverture totale à la résonance qu’elles peuvent provoquer chez l’autre.

Visionner ses œuvres implique de se lancer dans une expérience évolutive. Tel les impressionnistes, il se joue du regardeur selon son point de vue : l’angle, la distance et la lumière à partir desquelles il observe la toile. L’œuvre est alors nouvelle à chaque regard. L’artiste prétend à une absence d’artifice ou de préméditation. La forme attribuée naît, se métamorphose, et se transforme librement. Pour ainsi dire, l’œuvre est mouvante et insaisissable. Elle trouve sa stabilité seulement dans l’instant où elle est perçue.

Représenter des yeux : acte final d’une œuvre en devenir

Pourquoi accorder une telle importance aux yeux ? Il s’agit de la touche ultime, de l’achèvement de sa création artistique. Maury Samuel les insère dans ses peintures au moment où il ressent intérieurement que l’œuvre est finie. Cela parachève les « stages », comme il les appelle en anglais, ces étapes où la composition picturale atteint un niveau de signification, sans que cela soit pour autant dicté par un raisonnement rationnel.

Ce « choix », ou du moins cette volonté intérieure, de faire figurer des yeux dans chacune de ses peintures, prouve une forme de mysticisme assumé. Il n’y a effectivement pas de réponse définitive à la question de savoir pourquoi les yeux riment avec la fin de l’œuvre. Voilà une nécessité instinctive, une espèce de rituel guidé par l’inconscient, venant marquer le moment où la peinture cesse de lui appartenir, devenant ainsi une entité autonome.

Parmi les œuvres présentées à l’exposition Eye see You :

Krakatoa

Sous nos yeux se dresse une explosion visuelle où l’énergie brute semble jaillir de la partie inférieure de la toile. Cela contraste avec une sorte de ciel onirique d’une quiétude presque irréelle. Ce tableau représente l’éruption du Krakatoa en 1883, qui recouvrit la moitié du monde de ses cendres. L’artiste retranscrit cette sensation d’un rêve trop puissant, une vision se rapprochant d’un trip hallucinatoire.
Au cours de sa création l’œuvre était trop intense selon l’artiste, donnant toute la place à la masse violente du bas. Maury Samuel l’a retravaillée, la fragmentant, et l’adoucissant avec la partie haute, telle une explosion que l’on tenterait de canaliser. Une fois cet équilibre atteint, les yeux sont apparus – dernier acte d’une naissance picturale.

Femme en blanc : processus d’apparition après l’abstraction

Cette œuvre illustre parfaitement la manière dont Maury Samuel laisse son inconscient mener son geste créatif. D’abord entièrement abstraite, la composition était verticale. Après avoir mis de côté son travail le temps d’un dîner, il y perçoit soudainement la silhouette d’une femme. Pour confirmer sa vision, il n’eut qu’à modifier un espace pour laisser apparaître le bras. L’image était bien présente depuis le début, mais devait alors attendre d’être reconnue.

Une œuvre en mouvement, une quête sans fin

Les peintures de Maury Samuel incarnent une exploration infinie, mêlant diverses tentatives d’empoigner l’insaisissable. L’intention n’étant pas d’imposer une certaine vision, mais plutôt une ouverture à un dialogue entre ses toiles – projection de son intérieur – et ceux qui la contemplent. « Je n’ai pas un « quelque chose » que j’aimerais partager avec tout le monde, c’est intime pour moi », confie-t-il. Ni figée, ni définitive, son œuvre évolue, se transforme en s’adaptant aux regards et aux instants.

Maury Samuel ne peint pas pour affirmer une vérité, mais pour approcher une sensation, un fragment de lui-même, tout en offrant à l’autre la liberté de la réinterpréter – sans prétention.

Quand bien même ce voyage ne trouverait-il jamais sa destination, sa beauté réside précisément dans cette errance permanente.

Agathe Comby

du 6 au 29 mars 2025

Galerie Vallois, 35 rue de Seine, 75006 Paris
du mardi au samedi, de 10h à 13h et de 14h à 19h – entrée libre

Site internet : https://fr.maurysamuel.com/