Mémoire de l’Avenir présente Hors-Dogma : échapper aux schémas, exister en art

Du 23 mai au 22 juin 2025, Mémoire de l’Avenir accueille l’exposition Hors-Dogma. Une ode à la liberté. Une réflexion sur l’émancipation, portée par sept artistes internationaux. Ce n’est pas seulement contre le dogme, mais contre les injonctions sociales et les mécanismes de censure que s’élève l’art de : Akané, Bittersweet, Brigande, Eljo, Ken & Barbietruc, L’Élève, Mestoura et TaT (Ko Te Wai).

« Peut-on encore parler librement ? » interroge Brigande, l’une des trois commissaires à l’origine du projet. Toutes trois sont elles-mêmes artistes, que ce soit par la photographie (Helen Margaret Giovanello), la performance musicale (Brigande) ou les arts plastiques (Margalit Berriet). Cette curation entièrement artistique donne à l’exposition sa force vive, son urgence et sa cohérence intuitive.

Parmi la floraison d’œuvres présentées, certaines ont été créées spécialement pour l’occasion. C’est le cas de Eljo, musicien et artiste visuel, qui ouvre l’exposition par quatre portraits formant un tétramorphe des temps modernes. En détournant les figures bibliques de l’Apocalypse, Eljo pointe la montée des idéologies autoritaires en Occident. Pichoi Sundarai incarne la conquête, Jeff Bezos la famine, Elon Musk la guerre et Mark Zuckerberg la mort. « Une nouvelle apocalypse numérique » où la technologie devient le vecteur d’un monde connecté mais fracturé.

Dans un registre tout aussi incisif, Ken & Barbietruc illustrent la phrase « Ni dieux ni maîtres » en arabe sur une sérigraphie. Réalisée en khat hour, une forme d’écriture libre, cette œuvre rend hommage à une formule popularisée par le socialiste Étienne Susini et reprise par Friedrich Nietzsche. Couramment entendue dans les milieux anarchistes, elle marque ici le refus de toute suprématie, qu’elle soit divine ou humaine. Le duo confronte deux trajectoires différentes : l’un a grandi dans une liberté instinctive, l’autre s’est émancipé plus tardivement d’un cadre religieux. D’autres sérigraphies prolongent cette voix, telles que « La liberté se prend et ne se donne pas » ou encore « Ni dieu ni seigneur ».

Après ces prises de position frontales, Bittersweet explore un autre espace de résistance : l’intime. Ses dessins forment une constellation d’illustrations reliées par un fil, entre introspection et culture populaire. Elle y glisse par exemple un clin d’œil à l’anime Nana, où deux jeunes femmes cherchent à s’émanciper dans le Tokyo des années 2000. En figurant ses pensées et son image au milieu de ces symboles communs, Bittersweet esquisse une cartographie où les normes sociales et leurs effets sur la santé mentale sont remis en question.

Également dispersées dans l’espace d’exposition, les photographies de Mestoura évoquent la violence des abus familiaux. Dans une lumière tantôt méditerranéenne, tantôt glaciale, des silhouettes féminines et enfantines, vues de dos, contemplent des paysages vastes, silencieux et hantés par la mémoire. Ces scènes mélancoliques, brutes et sensibles, témoignent avec justesse d’une blessure trop souvent tue.

Le public a aussi l’occasion de découvrir Te Wai, artiste originaire de Pamure, qui aborde un autre visage du dogme : celui de la colonisation. Son trait épuré et ses couleurs franches naviguent entre calligraphie, graffiti et animation. Elle fragmente la figure de He Kûmara, symbole maori de fertilité et d’ancrage. Chaque apparition convoque la mémoire de la colonisation britannique en Nouvelle-Zélande, et plus largement les violences historiques imposées par l’Occident. Pour Te Wai, ces œuvres sont autant d’actes de résistance que de célébration d’une identité réaffirmée. Des gestes de réappropriation et de résilience.

La scénographie est ponctuée de projections, dont une vidéo teaser réalisée par Brigande dans le cadre du programme Arts and Society de l’UNESCO. Diffusée lors de la première Conférence mondiale des Humanités, cette œuvre prolonge le message d’ouverture intellectuelle et d’effervescence artistique de l’exposition. Par ailleurs, Brigande collabore depuis plusieurs années avec Monsieur Dierstein à la rénovation des Ondes Martenot, synthétiseur mythique des années 1930 et patrimoine français à part entière.

En parallèle, L’Élève, ancien croyant en quête de vérité, présente une installation vidéo immersive. Elle s’inspire d’un espace de débat en ligne qu’il a fondé : R.P.M.P., un salon de discussion où se rencontrent croyants, sceptiques et curieux autour des grandes questions religieuses, philosophiques et politiques. Loin des dogmes, ce projet numérique devient ici une œuvre vivante.

Enfin, les mots de Akané, écrivain français d’ascendance sénégalaise, viennent clore l’exposition. Cinq ans après avoir quitté l’islam, cette émancipation résonne encore dans ses poèmes. Dispersés sur un arbre artificiel comme autant de feuilles de pensée, ils symbolisent une parole reconquise. Intime, lucide et profondément incarnée.

Toutes ces œuvres, bien que différentes dans leurs médiums ou leurs contextes, participent d’un même élan. Elles interrogent ce qui nous enferme : religion, société, histoire, et proposent de nouveaux récits. Le propos de l’exposition rejoint celui du lieu. Garder la liberté de réfléchir de manière critique et sensible, à travers les arts. Depuis plus de vingt ans, Mémoire de l’Avenir s’est affirmé à Belleville comme un espace de création, de rencontre et d’expérimentation. À travers ses actions pédagogiques, artistiques et citoyennes, l’association défend une pratique de l’art inclusive, dialogique et tournée vers le monde. À l’international, elle contribue au programme Humanities, Arts and Society, porté par l’UNESCO, qui explore le rôle des arts et des sciences humaines dans les transformations de nos sociétés.

Candice Guettey

Jusqu’au 22 juin 2025

Mémoire de l’Avenir, 45 Rue Ramponeau, 75020 Paris

Ouverture du mercredi au samedi de 13h à 19h ou sur rendez-vous uniquement.

Mémoire de l’Avenir