KIKI – Le Montparnasse des Années Folles
Dire en cette période troublée que les personnages haut en couleurs comme Kiki de Montparnasse sont une bouffée d’oxygène, une lumière au bout du tunnel, tient presque du lieu commun. Alors on peut toujours ergoter sur le minimalisme de la production d’un spectacle quand le personnage se montrait d’une flamboyance hors du commun. Il ne s’agit d’ailleurs en rien d’un contresens. Le parti pris de l’écriture et par-delà de la mise en scène tient à conter l’intime. Les éléments biographiques s’égrènent avec la plus grande fluidité, racontant les premières années âpres de la vie d’une jeune fille que rien ne prédestinait à devenir l’une des plus grandes égéries de l’entre deux guerres, comme les épisodes les plus fastes de ce qui tissera une carrière aujourd’hui quelque peu oubliée ou à tout le moins méconnu.
Une toute jeune comédienne à la ressemblance troublante nous invite dans tout ce qu’il y a de plus passionnant du parcours de Kiki, contant avec verve et sans pathos aucun, la faim au ventre, l’insouciance régnant à une époque où tout semblait redevenir possible, le grivois, les fêtes démesurées et en fin de compte l’irrépressible envie de vivre.
Difficile de retranscrire autant de tableaux d’une existence avec une telle économie de moyens. L’astuce, fréquemment mise en œuvre dans la production théâtrale actuelle, consiste à concentrer toute l’attention sur le personnage central. La scénographie se borne à un comptoir que Kiki transforme au gré de la biographie, les artistes croisés sur son parcours en zigs zags n’apparaissant que dans son propos, leur nom sobrement projeté sur un écran vidéo. Même le pianiste se dissimule derrière un rideau semi transparent, laissant ainsi toute l’attention du spectateur se focaliser sur les ravissants costumes et maquillage d’une comédienne pétillante dont la gestuelle et la moindre expression suffisent à la magie d’une réapparition, fantôme de chair et d’os dont on rêve qu’il revienne habiter nos nuits pour plonger un peu plus longtemps encore dans les délices vibrants du plus beau Paname, celui de Montparnasse, Montmartre et autres grands boulevards.
Kiki ou le féminisme féminin
Rien ne prédestinait cet enfant illégitime, élevée dans le plus grand dénuement, à devenir plus qu’une égérie de l’entre-deux guerres. Aujourd’hui la qualifierait-on de star tant sa présence dans tant de milieux artistiques, et mondains, était incontournables. Après un début de vie pour le moins chaotique où elle exercera à peu près tous les métiers, la pauvreté étreignant sa vie la conduira à la rue où une première rencontre décisive avec le peintre Chaïm Soutine conditionnera la suite d’une vie romanesque pour ne pas dire rock’ambolesque. Car c’est d’abord pour manger et trouver un toit qu’elle commencera par poser pour des peintres jusqu’à tomber sous le charme d’un premier amour, le plasticien polonais Maurice Mendjiski avec lequel elle découvre enfin les émois de la sexualité mais aussi une sensualité, comme fil conducteur de sa vie de modèle.
Kiki incarnera avec quelques autres pionnières, la libération de la femme, adoptant une coupe garçonne et n’hésitant pas à poser nue pour les plus célèbres artistes de l’école de Paris. Ce féminisme féminin et débridé, même s’il n’est plus vraiment de mise aujourd’hui, résonne à travers les âges. Kiki assumera tout ce qu’elle fut, fit et deviendra. La fête, les soirées grivoises, la prise de poids la reléguant à un rôle d’amuseur public quand son physique ne séduira plus les nouvelles générations de peintres… Un féminisme, assumé, donc, l’emportera vers la création artistique : de l’esquisse de portraits de soldats américains à l’écriture de ses mémoires, du chant et de la danse à la création d’un cabaret… ni l’alcool, ni la drogue, ni les nombreuses déceptions amoureuses ne viendront à bout de sa joie de vivre et d’éclairer le monde car elle fut Paris… à elle seule.
Compagne de Man Ray, meneuse de revue, tenancière de cabaret, modèle pour la crème de la production picturale… Kiki de Montparnasse aura connu mille vies. Elle symbolise à elle seule un foisonnement culture faisant de la capitale parisienne le fleuron de la création mondiale. Tous voulaient l’approcher, tomber sous son charme tantôt carnassier tantôt enfantin. Tous succomberont à son charme coquin et à son minois d’une modernité jamais démentie. Les quelques raisons susceptibles de vous retenir dans votre élan de découvrir au travers d’un théâtre parlé mais aussi divinement chanté, le Paris de ces années folles et bénies, ne trouveraient aucune légitimité tant le spectacle est une petite perle nichée au creux d’un écrin aussi mythique et minuscule que le talent et la joie de Kiki étaient grands.
Le pitch : un spectacle musical et joyeux qui fait partager l’exubérance des « années folles » en peignant la vie de Kiki de Montparnasse. Le parcours incroyable de cette star emblématique d’une époque haute en couleurs. Elle fut muse et modèle des plus grands noms de l’Ecole de Paris, témoin de l’éclosion de Modigliani, Soutine, Fujita, Desnos, Cocteau, Man Ray, et tant d’autres. Kiki fut aussi peintre, actrice de cinéma, chanteuse et « amuseuse » de cabaret, toujours animée d’une irrépressible envie de « donner de la gaieté aux gens ».
Les jeudis et samedis jusqu’au 1er avril 2017
Kiki – Le Montparnasse des années folles
Fantaisie musicale de Hervé Devolder – Avec : Milena Marinelli, Hervé Devolder
Théâtre de l’Essaïon
6 rue Pierre au Lard
75004 Paris
puis au Festival d’Avignon 2017
David Fargier – Vents d’Orage