Mouvements et Abstraction : Christian Bonnefoi et le souffle des années 1980-1990

Du 9 octobre au 15 novembre 2025, la Galerie Joan Font et la Galerie Véronique Smagghe s’associent pour présenter une double exposition d’une rare intensité. Au cœur de cet événement : un hommage vibrant à l’œuvre charnière de Christian Bonnefoi et une exposition collective qui interroge la notion même de mouvement dans l’abstraction contemporaine.

Christian Bonnefoi : l’abstraction comme expérience

Né en 1948, Christian Bonnefoi consacre son œuvre à une exploration patiente et exigeante de la peinture : ses matières, ses surfaces, ses transparences. L’exposition revient sur une décennie décisive dans son parcours — les années 1985 à 1995 — période où il interroge en profondeur la capacité de la peinture à exister sans représentation.

Cette recherche s’enracine dans un choc fondateur : en 1970, la découverte de l’œuvre d’Henri Matisse lors de l’exposition du centenaire au Grand Palais. Les reliefs, les formes, la tension entre présence et absence deviennent alors pour Bonnefoi une matrice esthétique et intellectuelle. À partir de là, il ne cessera de questionner le médium pictural lui-même, à travers une pratique qui conjugue rigueur théorique et liberté sensible.

Les peintures, dessins et collages présentés à la Galerie Joan Font en collaboration avec la Galerie Véronique Smagghe dévoilent un langage plastique singulier : des compositions fragmentées, traversées par des rythmes internes, où le mouvement naît de la discontinuité. Les formes s’interrompent, se déplacent, se recomposent, produisant un espace vibrant, toujours en devenir.

Cette période marque également une intense activité d’écriture : Bonnefoi s’y fait la voix d’une génération de peintres qui interrogent la légitimité et la vitalité de la peinture à l’heure de la dématérialisation de l’image.

Mouvements et Abstraction : une cartographie du geste

En parallèle, la Galerie Joan Font propose « Mouvements et Abstraction », une exposition collective réunissant une quinzaine d’artistes majeurs ou confirmés dont les recherches ont profondément marqué les formes de l’art entre la fin du XXᵉ et le début du XXIᵉ siècle.

Le mouvement, force invisible qui modèle notre perception du monde, y est abordé sous des angles multiples : de la rigueur géométrique à la gestuelle lyrique, de la logique mathématique à l’énergie brute. Parmi les artistes exposés :

Geneviève Claisse — La géométrie comme vibration. La peinture de Geneviève Claisse (1935–2018) est une célébration de la clarté et de l’ordre comme vecteurs d’émotion. Héritière de la tradition constructiviste, elle développe dès les années 1960 un vocabulaire visuel fondé sur des formes simples — cercles, triangles, lignes — et des couleurs franches. Les couleurs s’articulent dans un équilibre subtil qui crée des tensions optiques, des vibrations chromatiques, des déplacements perceptifs. Chaque toile agit comme une structure vivante où l’œil est en mouvement permanent.

Tal Coat — La matière comme paysage intérieur. Tal Coat (1905–1985), figure majeure de la peinture d’après-guerre, s’éloigne très tôt de la figuration naturaliste pour inventer une abstraction ancrée dans la matière. Ses toiles sont traversées de gestes spontanés, de couches superposées, de rythmes organiques. Loin de représenter la nature, il la laisse émerger. Les surfaces deviennent alors un lieu de rencontre entre l’homme et le monde, entre le geste et la matière, entre la pensée et l’instinct.

Vera Molnar — Le hasard programmé. Vera Molnar (1924–2023) est une pionnière absolue : dès les années 1960, elle explore les potentialités de la machine comme partenaire créatif. Elle invente des « règles » — des algorithmes visuels — qu’elle confie à l’ordinateur pour générer des formes, puis les confronte à son propre regard. Ce dialogue entre hasard programmé et décision humaine crée une peinture d’une précision vibrante. Ses œuvres, souvent fondées sur des séries de lignes, de carrés ou de grilles perturbées, révèlent la beauté qui naît de la tension entre ordre et accident.

Tania Mouraud — Le visible et l’invisible. Tania Mouraud (née en 1942) développe depuis les années 1970 une œuvre qui interroge les frontières du langage et de la perception. Elle travaille notamment à partir de mots qu’elle étire, transforme, dissimule dans la forme picturale au point de les rendre presque illisibles. Ces peintures, où le noir et le blanc dominent, confrontent le spectateur à une tension : lire ou regarder, comprendre ou ressentir. L’écriture devient image, la forme devient silence. Cette exploration du seuil entre lisible et visible fait émerger un mouvement intérieur, mental, plutôt que physique : celui de la pensée qui cherche à déchiffrer ce qui lui échappe.

Bernar Venet — L’ordre et le chaos. Bernar Venet (né en 1941) développe une œuvre radicale qui puise dans les mathématiques, la physique et la philosophie. Ses dessins, peintures et sculptures explorent la tension entre des systèmes parfaitement rationnels et la part d’instabilité inhérente à tout système. Ses lignes, arcs et angles, d’apparence rigoureuse, semblent souvent s’échapper de leur propre logique. Cette tension crée une énergie visuelle intense, presque dramatique : le mouvement naît de l’équilibre instable entre contrôle et débordement.

Et aussi des œuvres de Choi Jun-Kun, Jonone, Angel Alonso, Jean Degottex, Gregory Derenne, Hans Hartung, Stéphane Couturier, Abdelkader Benchamma, Olivier Debré, Takesada Matsutani, Daniel Dezeuze, …

Une plongée dans l’histoire vivante de l’abstraction

Avec cette double exposition, la Galerie Joan Font et la Galerie Véronique Smagghe proposent bien plus qu’une présentation d’œuvres : une véritable réflexion sur la peinture comme expérience vivante.

Christian Bonnefoi en offre la démonstration par une pratique qui conjugue pensée et sensibilité, tandis que « Mouvements et Abstraction » déploie une constellation d’artistes qui, chacun à leur manière, ont su libérer la peinture de ses attaches figuratives pour en explorer les forces internes.

Un rendez-vous incontournable pour qui s’intéresse à l’histoire de l’abstraction et à ses prolongements contemporains.

Véronique Spahis

 Du 9 au 25 octobre 2025

Galerie Joan Font & Galerie Véronique Smagghe – 42 rue de Montmorency, 75003 Paris
ouvert du mardi au samedi de 14h à 19h