Ne laisse pas ce jour vieillir

Le spectacle vivant offre des opportunités infinies. Tout réside dans la force créatrice des compagnies, des auteurs, des metteurs en scène, des accessoiristes, des faiseurs de lumières et d’ambiance… Et tout réside aussi dans l’imaginaire de celui qui reçoit la proposition car, dans le cas d’espèce, il est grandement question de réception, de sensations. Je dois avouer m’être montré un rien dubitatif lorsqu’à la lecture du dossier de presse, je découvrais qu’il était question de théâtre immersif et itinérant. Oui mais voilà, les mots ont un sens très précis et mes craintes furent très vite dissipées puisque l’intention de l’auteur et metteur en scène de Ne laisse pas ce jour vieillir, ne consistait pas en une interactivité trop souvent gadget mais bel et bien de situer le spectateur au cœur de la narration, une présence tantôt fantomatique, tantôt en interaction directe avec les comédiens.

Vous connaissez mon parti-pris de ne rédiger des chroniques qu’au sujet d’œuvres qui m’auront marqué, frappé, séduit. Ce spectacle ne fait pas exception à la règle et l’on ne peut que se réjouir d’aller à l’encontre de certaines de ses réticences et préjugés. Le titre pourrait évoquer l’écriture singulière de Fabrice Melquiot. Pas que le titre, d’ailleurs. La forme comme la thématique, pour leur part, font écho au chef d’œuvre de Christophe Honoré, Le ciel de Nantes, donné l’an dernier à l’Odéon. Dans l’interview qui complète cet article, j’évoque les liens invisibles, les connections qui peuvent s’établir entre les artistes et les protagonistes, pour ainsi dire à leur corps défendant. Dans une scénographie extrêmement originale et dynamique, le public se trouve totalement happé au cœur de la narration, au plus près de l’intime, des secrets de famille, des émotions qui en tiranchent ses membres. On reste pendu à leurs lèvres avec ce désir étrange et saisissant de leur donner enfin les clés de compréhension de ce qu’eux-mêmes n’ont pas trouvé la force ou les mots de se dire.

On suit les pas hésitants d’une mère qui vient de perdre la sienne puis de sa fille qui, par des bribes nichées au plus profond de la mémoire cellulaire, tente de recoller devant elle le puzzle du passé pour pouvoir à son tour avancer sur son propre chemin. Dans cette histoire, il sera question de frustrations, de non-dits, d’espoirs déçus, d’un certain conformisme envahissant qui vient contrecarrer des rêves que l’on croyait perdus à jamais. Il sera question d’amour, aussi et surtout, celui qui se cherche, celui qui se dit mal, celui qui s’étiole ou qui ne remplit pas tout, celui qui se ment à lui-même, se confondant avec le mirage imprimé dans l’idée d’aimer. La vie comme ce spectacle en phase de création, est un diamant brut. Nous faisons tous de notre mieux pour le polir avec conviction et désir, malgré nos maladresses et les peurs qui s’amusent à nous faire trébucher. C’est de tout cela et de bien d’autres jolies choses encore que votre serviteur Vents d’Orage s’en est parti causer avec Anne Puisais, le chef d’orchestre de cette aventure plutôt extraordinaire…

(lien vers le fichier audio)[DF1] 

Le pitch : Ne laisse pas ce jour vieillir est une forme immersive et itinérante dans laquelle le spectateur est placé au cœur de la narration. Mariage, repas de famille, enterrement, discussion au coin du feu, une étreinte dans laquelle se jouent des vies …

Le spectacle parcourt les états d’amour d’une famille et relie les fils qui se lient entre trois générations.

L’histoire s’ouvre avec le personnage de Maria qui, à l’occasion du mariage de sa nièce, se remémore son mari resté au pays en guerre qu’elle a fui avec leurs trois enfants il y a une vingtaine d’années. Derrière elle, Maria a laissé tout un monde, sa terre natale, sa langue maternelle, ses proches et son amour pour Isaac. Ava, Mattia et Sara, quant à eux, ont grandi avec l’absence d’un père et l’idée d’un amour déraciné. Cette famille de l’exil est suspendue dans le temps face à l’adversité de devoir rebâtir un monde à soi ailleurs. L’errance de Maria au-delà de ses souvenirs et sa difficulté à reconstruire par peur que tout ne s’arrête encore une fois ont laissé une trace immuable sur l’histoire de ses enfants.

Ce soir-là, Maria parle à Ava pour la première fois…

Teaser

David Fargier

Ne laisse pas ce jour vieillir

Auteur : Anne Puisais ; Mise en scène : Anne Puisais ; Direction d’acteurs : Stéphane Aubry ; Scénographie : Juliette Mougel assistée de Blanche Come ; Création lumières : Nina Masseboeuf et Gildas Gros  ; Création sonore : Anthony Bolie-Sawa ; Création vidéo : Demian Mercado Vilches  ; Accessoirisassion : Alix Frankiel et Manon Ongena ; Avec : Jérémie Dubois Malkhior, Arthur Leparc, Nathalie Mann, Anne Puisais et Julie Vartabedian

Au Festival d’Avignon du 6 au 28 juillet 2023, 17h45

La Scierie, 15 boulevard Saint-Lazare, 84000 Avignon