“Nous autres” : La photographie se fait récit de l’intime au BAL

Du 20 juin au 16 novembre 2025, et pour la première fois en Europe, LE BAL nous invite à découvrir l’œuvre de la photographe américaine Donna Gottschalk. Cette exposition, tissée sur le fil d’une amitié intergénérationnelle, nous convie à parcourir les lignes d’un récit intime. En figeant l’image de ses proches, son travail devient une fenêtre ouverte sur le vécu et le quotidien des personnes homosexuelles dans l’Amérique des années 1970 et 1980. Une archive contre l’oubli.

Les photographies de Donna Gottschalk se découvrent à travers la plume d’Hélène Giannecchini, écrivaine, chercheuse et théoricienne de l’art. Leur rencontre en 2023 marque le point de départ d’une amitié indéfectible, malgré quarante années d’écart. De ce lien naît une rétrospective vivante, mémoire d’une histoire souvent effacée ou survolée.

L’exposition permet également de mettre en lumière le travail de Carla Williams, historienne de l’art, archiviste et photographe. Son ouvrage autobiographique Tender, publié en 2023 et récompensé par le prix Paris Photo x Aperture, résonne profondément avec celui de Donna Gottschalk.

Alphabet City

Elles ont à peine vingt ans et regardent l’objectif avec un air de défi. Il leur suffit d’enjamber la fenêtre du salon pour se retrouver sur la plateforme métallique de ce petit appartement d’Alphabet City.” Hélène Giannecchini.

Notre parcours débute au 406 East 9th Street, dans le quartier d’Alphabet City à New York. C’est là que Donna Gottschalk s’installe pour la première fois. Ce petit appartement devient un refuge pour les personnes homosexuelles, mais aussi un studio improvisé, un espace de liberté et de création.

Là où Nan Goldin documente des scènes festives de la communauté queer, D.Gottschalk capte de simples instants d’amitié. Des fragments d’intimité homosexuelle rarement montrés, car marginalisés.

À cette époque, ces femmes n’ont pas le droit de se photographier librement en dehors de leurs espaces privés. C’est pourquoi la majorité de ses clichés sont pris dans des lieux clos. Souvent depuis la plateforme de secours de son appartement.

En regard aux clichés d’Alphabet Street, le salon de beauté de sa mère renferme les premiers souvenirs photographiques de Donna. Elle y capture les clientes, mais aussi les membres de sa propre famille, notamment ses sœurs Mila et Mary, protagonistes majeures de son œuvre.

La présence de Mila devient un fil rouge de l’exposition. En transition à l’âge de quarante ans, elle trouve en l’objectif de Donna un miroir pour explorer son identité de genre. Ces clichés, conçus en tandem, sont d’une puissance intime rare.

Militance et San Francisco

Plus loin dans l’exposition, une autre étape clé de la vie de Donna Gottschalk est mise en lumière. En 1970, elle rejoint le Gay Liberation Front, un groupe militant pour les droits des homosexuels. À travers son regard, on découvre un engagement à hauteur d’oreille : ce ne sont pas celles et ceux qui parlent qui sont photographiés, mais ceux qui écoutent, attentifs au bruit du changement.

Un mur, peint en vert, ouvre une parenthèse rêvée. Donna part vivre trois ans à San Francisco, perçu alors comme un paradis de liberté. Habituellement confinés à des intérieurs, ses sujets apparaissent ici en extérieur, corps en mouvement, enfin visibles.

Peu à peu, les photographies se raréfient mais accompagnent Donna dans ses voyages, au fond de ses valises. On découvre notamment plusieurs clichés de Marleen, une amie de longue date. Beaucoup de celles et ceux que l’on voit ne sont plus. Emportés par la violence faite aux corps queer dans une Amérique hostile à la différence.

Nous autres” devient alors panthéon et mémoire de leurs existences.

Les voix en héritage

Lors d’une visite chez Donna, Hélène découvre des correspondances enregistrées sur VHS. Ces archives vocales, numérisées à New York, accompagnent l’exposition. “I want people to be remembered” est le film né de ces archives. Pendant vingt minutes, ces messages sonores dialoguent avec les photographies de Donna Gottschalk, portés par la musique de Sasha Blondeau. Une archive brute, authentique, sublimée par la mise en forme. Nous entendons les voix de ceux que nous venons de voir. Pour que leurs images, et leurs vies, ne soient pas oubliées.

Carla Williams, autoportrait d’une rencontre

Cette rétrospective est aussi une découverte, une mise en lumière d’une seconde artiste : Carla Williams. Historienne de l’art et photographe, elle publie en 2023 Tender, un ouvrage qui rassemble des autoportraits réalisés dans les années 1980, alors qu’elle étudiait la photographie à Princeton. Consciente de l’absence de représentation des femmes noires dans l’histoire de l’art, elle mène des recherches, mais surtout devient elle-même actrice de cette iconographie absente. Pendant dix ans, elle se photographie en rejouant les codes du nu artistique.

LE BAL contacte Carla Williams pour accompagner de ses mots, l’œuvre de Donna Gottschalk. Elle réalise alors que Donna lui est tout sauf étrangère. Dans son bureau, depuis des années, trône une photo de cette dernière, marchant à la Pride avec une pancarte : “Je suis votre pire cauchemar et votre fantasme.”

Carla Williams témoigne que ce cliché l’a accompagnée dans sa construction identitaire en tant que femme lesbienne. Une filiation invisible mais réelle prend alors forme. Elle confiera qu’elle aurait aimé connaître Donna plus tôt – que son œuvre aurait certainement influencé la sienne.

Si tu n’étais pas venue, cette œuvre n’existerait pas. Tu les as hissés au rang de souvenirs. C’est un rêve.” (Donna Gottschalk à Hélène Giannecchini)

Candice Guettey

Du 20 juin au 16 novembre 2025.

LE BAL, 6 imp. De la Défense, 75018, Paris.

du jeudi au dimanche de 12h à 19h. Nocturne le mercredi jusqu’à 20h.

LE BAL | Espace d’exposition dédié à l’image-document : photographie, vidéo, cinéma, nouveaux médias.