Comment des objets, parfois intimes, et banals se retrouvent au centre de luttes politiques et sont réappropriés pour symboliser quelque chose de nouveau ? Détournements présente un mélange d’objets, d’archives photographiques et de témoignages faisant apparaitre la politique dans le quotidien.
Le concept de l’exposition nous vient du laboratoire INVISU, notamment de la collaboration du Centre National de Recherche Scientifique et de l’Institut National d’Histoire de l’Art qui se sont penchés, à l’occasion d’un séminaire, sur le détournement politique des objets du quotidien.
Un exercice très simple nous permet de mieux appréhender l’exposition : le gilet jaune. C’est le premier objet abordé par l’exposition, d’abord banal, sécuritaire et présent dans le coffre de chaque automobiliste, il évoque, depuis 2018, un combat et une lutte ouvrière dans l’esprit collectif. L’objet du gilet jaune épouse un nouveau sens, il prend une nouvelle dimension…
Le vêtement est l’un des premiers moyens de politisation d’un objet ; il agit comme marqueur social et fait l’objet de nombreuses restrictions et évolutions au cours de l’histoire. L’exposition détaille l’histoire de la SAPE (Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes) au Congo qui usait le vêtement pour imiter et défier les élites Européennes puis finit par être interdite dans les années 70 par la dictature Mobutu. Appropriation, détournement et prohibition témoignent tous du caractère éminemment politique de l’habit.
Sur le même principe le Bleu de travail fût approprié et affiché dans les luttes féministes comme un puissant symbole d’indépendance. Les archives et photographies présentées montrent comment cet objet à l’apparence si ordinaire est détourné. De l’affiche de la Rosie « We can do it ! » à, plus récemment, des manifestantes de la CGT il est porté et arboré avec intention à des fins politiques.
Détournements explore aussi des objets produits par des luttes et des moments politiques. Sont affichées des archives inédites telles que le soutien-gorge bleu blanc rouge fait par les ouvriers de l’usine Lejaby en 2011 lors de la grève visant à éviter la délocalisation de leur entreprise. Jacqueline Portelatine témoigne : « le tout c’était de marquer la lutte. Quand vous voyez les défilés, ils ont leur drapeau. Le premier tient le drapeau bleu-blanc-rouge, eh bien nous, notre soutien-gorge, c’était ça. ».
Lorsque dans les années 80 le fabricant des poupées Bella commence à faire faillite, la CGT lance la poupée Bella de lutte, militante, avec habit traditionnel catalan pour tenter de sauver la production. L’exposition propose une belle collection d’archive ‘d’objets de grève’ dans laquelle on peut y apercevoir un paquet de cigarettes Gauloises avec écrit « CGT » et « fabriqué par les travailleurs en lutte« . On y retrouve aussi un journal publié avec des encadrés de photo vides, réalisé par des photograveurs, en solidarité à un collègue retoucheur en grève.
Politiser son quotidien c’est aussi des gestes simples comme la résistance technologique dont Ernesto Oroza témoigne. Cet artiste collectionne et photographie des objets à Cuba qui sont les produits d’une économie très pauvre basée sur la pénurie. Ici, Ernesto Oroza, fasciné par la réparation à outrance, témoigne de la force de l’esprit humain face à l’oppression politique. Dans Détournements on peut aussi s’approprier les objets des autres : Hélène Valance (la commissaire d’exposition) y a glissé la coiffe d’indien et l’attrape-rêves. Objets rituels d’une grande importance culturelle et symbolique, ils se trouvent détournés comme jouets pour enfants et symboles hippies.
Un objet politique peut aussi être dépolitisé et détourné à des fins marchandes. Le t-shirt devenu mythique arborant le visage de Che Guevara est accroché à côté d’une collection d’objets arborant le slogan ‘Liberté, Egalité, Fraternité’ pour personnaliser et vendre tous types de produits. L’entreprise Leclerc détourne aussi l’affiche du CRS SS issue des manifestations de Mai 68 pour faire abroger une loi commerciale. Ici, le phénomène s’inverse entièrement, le symbole politique fort se retrouve en objet du quotidien (un t-shirt, un mug, ou même une culotte).
Détournements est une exposition originale et très enrichissante intellectuellement mais est par-dessus tout un témoignage de l’inventivité humaine et des ressources utilisées pour s’impliquer dans la politique. Les archives photographiques, les objets et les témoignages écrits permettent de mettre en lumière tous les moyens à notre disposition pour participer aux conversations politiques de notre pays de manière simple.
Le Ground Control occupe une ancienne friche industrielle utilisée pour le tri postal depuis 2017 pour proposer une expérience libre et complète toute l’année. Avec une grande proposition gastronomique et une programmation d’activités culturelles riche on ne peut que vous conseiller d’y faire un tour et découvrir ce que le lieu a à offrir.
Laetizia Pietrini
jusqu’au 30 Mars 2025
Ground Control, 81 rue du Charolais 75012 Paris,
Du mercredi au vendredi de 12h à 00h – le samedi de 11h à 00h – le dimanche de 11h à 22h30