Post(e) Photographie des EpouxP : la Poste à l’épreuve du temps

« Comment balayer l’histoire de la Poste ? ». C’est toute la question que se pose depuis plus de 70 ans la mémoire vivante de l’une des plus grandes institutions françaises, le Musée de la Poste. Dans une continuelle recherche de faire vivre son exposition permanente, le temple du courrier s’essaye pour la seconde fois au principe de la « Carte Blanche ». Missionnés pour cette occasion, les EpouxP proposent leur vision de la Poste à travers l’exposition Post(e) Photographie.

« Nous souhaitions donner à un artiste contemporain l’occasion de s’exprimer » lance Monika Nowacka. Directrice des expositions pour le musée, cette dernière souligne que le dispositif « Carte Blanche » permet d’insuffler « une nouvelle dynamique » en présentant un « autre regard » sur le monde de la Poste.

Les EpouxP, Pascale et Damien Peyeret, sont photographes, plasticiens ou bien encore réalisateurs. Mais c’est avant tout leur « goût pour l’exploration » qui a séduit l’institution muséale. Il faut en effet avoir l’âme d’un archiviste, d’un passionné des services postaux, sinon d’un aventurier, pour s’attaquer à la diversité et à l’immensité des collections conservées. 

La photographie comme porte d’entrée

Perdus dans cet univers dont ils ne sont pas familiers, les époux, au début de leur collaboration avec le Musée de la Poste, se devaient donc de définir, d’esquisser les contours de leurs projets. Très vite, ils confient avoir eu un « vrai coup de cœur » pour les différentes photographies.

Monika Nowaka se félicite de cette trouvaille. « Le fond photographique était peu mis en valeur. Auparavant, il avait surtout une fonction décorative », explique-t-elle. Avec plus de « 200 000 pièces », ce pan du musée a parfois été mis en retrait par rapport au reste de l’exposition tournée, avant tout, sur la présentation d’objets d’époque.

Dans la vision des artistes pourtant, « une lecture verticale » de toute la Poste se fait au travers de ces clichés. « Tout y est » lâche, souriante, Pascale Peyret.

De Poste à Post(e)

Post(e) Photographie se distingue tout d’abord par son écriture, qui reprend les codes de celle dite inclusive ; c’est-à-dire croyant nécessaire de faire transparaître les différents genres au sein d’une proposition grammaticale, indépendamment de l’accord « en genre et en nombre » que le français opère.

Il n’est évidemment pas anodin d’avoir intitulé l’exposition de la sorte. L’idée est en effet, selon Pascale Peyret, de montrer que « les femmes ont une toute petite place » dans le Musée de la Poste… mais qu’elles en détiennent une autre, prépondérante à l’inverse, dans la grande histoire de l’institution.

Etre une femme à la poste

Elles ne sont ainsi montrées que dans les tâches répétitives qu’elles effectuaient. Un travail ingrat, aux conditions éreintantes, accélérant au rythme d’une forme d’industrialisation du métier. Elles devaient donc suivre une certaine cadence que les deux artistes représentent dans Rotorama – Mécanique de l’accélération.

Plusieurs images ont été sélectionnées, montrant des femmes en train de trier le courrier à l’aide d’une machine. La figure de l’Homme « qui les surveille » apparaît également en toile de fond pour Pascale.

Fautes de profondeur et de réel travail de contextualisation dans leurs présentations, Pascale et Damien Peyret tombent alors dans l’écueil classique : regarder, analyser et juger le monde d’hier avec leurs lunettes d’aujourd’hui.

Tout regard contemporain induit nécessairement un décalage ; encore faut-il que ce dernier soit pris sous un angle d’attaque pertinent pour qu’il permette de réfléchir intelligemment au sujet d’étude.

Une évolution de l’institution

Après avoir évoqués le féminisme, dans Bureaux Coquets – Diorama les deux comparsess’interrogent ensuite sur le rapport entre la Poste et les évolutions technologiques.

Pour ce faire, les EpouxP passent à la moulinette de l’intelligence artificielle toute une série de photos d’époque pour voir comment « elle s’empare des codes et du style de ces images passées ». Pratique : tout en critiquant mollement la machine, elle finit néanmoins par travailler pour eux…

Post(e) Photographie coche en réalité toute les cases de la parfaite exposition du XXIe siècle, croyant être à contre-courant, être dans le vrai « car tout y est », rappelons-le ; or c’est tout l’inverse : rien n’y est car les EpouxP souhaite parler de tout, et surtout faire parler.


Or, les évolutions à souligner sont pourtant bien là. Le changement qu’a connu la Poste est tangible. De la fin de son monopole en 2011, à la perte de vitesse du courrier, ce sont des « aspects de relation, de contact humain » qui ont disparu dans la Poste actuelle, souligne Emmanuel Berto.

Postier de 1975 à 2010 en Seine-et- Marne, membre du Musée de la Poste, cet « amoureux de la Poste et des timbres » comme il se décrit, estime que l’exposition ne va pas forcément « dans le profond ».

On peine en effet parfois à saisir les orientations qui ont guidées les époux-artistes à la réalisation de cette exposition. Riche, le sujet pouvait se prêter à un développement bien plus précis. 

Sur la question des évolutions qu’entraîne l’arrivée de la technologie, un sujet, non évoqué, semble par exemple évident : celui de la confrontation entre, d’un côté, la mission de service public que représente la Poste, son caractère intrinsèquement humain ; en proie de l’autre à une vague de déshumanisation du fait des nouvelles pratiques engendrées par les intelligences artificielles.

En surface, ces sujets ne sont que brièvement évoqués, de manières indirectes. Par ailleurs, le fait que l’exposition ne se concentre pas sur un sujet en particulier, mais essaye au contraire de balayer l’ensemble des thématiques sociales au goût du jour, nuit aussi à la compréhension et à la portée de la proposition.

On comprend néanmoins, à l’aide du « e » final, souligné par sa mise entre parenthèses dans l’intitulé de l’exposition, la volonté première de Post(e) Photographie. Il s’agit de souligner l’importance des femmes dans les rouages de l’institution.

Ce « e » rend-il à ces femmes leurs lettres noblesses ? Le duo d’artistes serait tenté de répondre par l’affirmative. Mais, le symbole de la parenthèse est ambigu du point de vue de la typographie : s’agit-il d’une parenthèse fermante ou ouvrante pour la Poste ?

Gabriel Moser

Du 1er juin 2024 au 21 avril 2025

Musée de la Poste, 34 Boulevard de Vaugirard, 75015 Paris

Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 11h à 18h.

https://www.museedelaposte.fr/fr