Du 28 juin 2025 au 4 janvier 2026, Rick Owens investit les murs du Palais Galliera avec Temple of Love, sa toute première rétrospective parisienne. Pensée comme un sanctuaire intime et spirituel, l’exposition retrace plus de trente ans de création du designer américain, dont l’univers sculptural, radical et parfois sombre continue d’influencer la mode contemporaine.

Le Palais Galliera revêt une signification particulière pour Rick Owens. Il y conserve des souvenirs marquants, notamment celui de l’exposition Fortuny, un Espagnol à Venise, présentée en 2017. Un écho personnel qui nourrit son hommage au lieu, dès la façade extérieure. Les statues du fronton sont recouvertes de gigantesques drapés sertis de paillettes noires. Ces caryatides brillantes se dressent telles des déesses, gardiennes d’un savoir textile. Owens intervient même dans le jardin du musée, y intégrant des plantes qu’il affectionne, prolongeant ainsi son empreinte jusque dans le vivant.

De Porterville à Paris
Né à Porterville, Californie, en 1961, Rick Owens débute de façon inattendue, en tant que patronnier pour des enseignes de contrefaçon à Los Angeles. Diplômé de la Trade-Technical School, il s’immerge dans l’underground de la ville, en découvrant ses codes et ses marges.
La rencontre avec sa compagne, Michèle Lamy, en 1987, est un tournant : il travaille à ses côtés pour lancer la ligne Lamy Men, avant de signer, en 1992, ses premières créations personnelles. En 2003, il s’installe à Paris. Une étape-clé, au cœur de l’exposition, qui marque un changement d’échelle dans son œuvre.Dès 2013, son esthétique brutaliste prend une dimension plus politique. Owens interroge les dogmes de l’Occident, la passivité face à la crise climatique. Ses vêtements deviennent des réceptacles de révolte, d’introspection.
La pandémie de 2020 provoque un repli créatif dans ses ateliers italiens. Il y élabore des formes plus douces, des volumes plus humains. « Une ode à l’amour et à la tolérance », dira-t-il. Depuis, il a reçu plusieurs distinctions, dont celle de créateur masculin de l’année aux CFDA Fashion Awards en 2019.
Une autobiographie en cent silhouettes
« Les vêtements que je crée sont mon autobiographie. C’est l’élégance calme à laquelle j’aspire, et les dégâts que j’ai causés en chemin. »

Près d’une centaine de silhouettes masculines et féminines ponctuent le parcours de l’exposition. Dès la première salle, elles dialoguent avec des œuvres de Gustave Moreau, Joseph Beuys ou Steven Parrino, affirmant la porosité entre art textile et beaux-arts. Ces confrontations esthétiques enrichissent le regard porté sur Owens, dont les pièces, aux chromatiques subtiles, sont mises en valeur par un accrochage cohérent et narratif.



Chaque section est une porte ouverte sur les sources d’inspiration de Rick Owens : des récits bibliques de l’enfance aux fantasmes du cinéma hollywoodien des années 1930, en passant par la littérature française du XIXe siècle. Ce kaléidoscope d’influences compose un véritable cahier de formes éclectique. Owens navigue entre références, sans jamais perdre son cap esthétique.
Dans une seconde salle, au centre du parcours, un jeu d’altération chromatique se déploie. Pour la première fois, plusieurs pièces sont exposées en pleine lumière, au risque d’en altérer les couleurs. L’exposition assume cette exposition directe comme une part intégrante du processus créatif : pour Owens, ces changements sont un rappel symbolique de l’adversité de la vie. Comme des reliques d’un monde effondré, les vêtements deviennent des manifestes d’indépendance, dans un théâtre postapocalyptique sublimé.



Gestes, défilés, muses
Un espace de projection revient sur certains défilés devenus cultes, notamment celui de 2013 où les mannequins furent remplacés par des danseuses de stepping afro-américaines, incarnant la force, la réappropriation et la transcendance. Non loin de ces archives vidéo, un espace est dédié à l’Australien Tyrone Dylan Susman, mannequin et muse devenu une figure iconique des collections Owens depuis 2019.


L’exposition s’achève sur une note plus intime : une reconstitution stylisée de l’appartement qu’il partage avec Michèle Lamy à Los Angeles. Bercé par la musique de Richard Wagner, ce dernier tableau révèle le cœur affectif et spirituel de son œuvre, ancrée dans une relation fusionnelle et créative.


Vers un syncrétisme post-apocalyptique

Temple of Love met en scène des figures hybrides : capes de prêtresse, coiffes d’inspiration maya – en hommage à ses origines mexicaines -, sandales Birkenstock mutées, baskets Converse détournées. Rick Owens ne cherche pas à trancher : il transcende les catégories, flirtant avec un mysticisme futuriste.
« Offrir une alternative aux esthétiques culturelles standards », telle est la mission que Rick Owens poursuit en empruntant à toutes les cultures. Un geste fort, toujours incarné.
Candice Guettey
Du 28 juin au 4 janvier 2025.
Musée du Palais Galliera, 10 Av. Pierre 1er de Serbie, 75016 Paris.
Le musée est ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18h et le vendredi jusqu’à 21h.