La nuit, ce moment où le temps semble suspendu, où l’activité est ralentie, où certains hommes dorment et d’autres dansent, cet instant intime qui peut aussi être angoissant et hésiter entre ivresse et peur, est merveilleusement bien retranscrit dans l’univers de ce spectacle où quatre ballades de Schumann nous envoûtent.
Comme un fait « exprès », le spectacle Schumann, La nuit des rois a inauguré la réouverture des lieux culturels à la Seine Musicale les 19 et 20 mai 2021 au soir.
Quoi de mieux que de se plonger dans l’obscurité pour que la lumière de la scène lève le voile sur un monde magique intensifié par la mise en scène d’Antonin Baudry où des images ressemblant à des mirages sont projetées sur du tulle qui fait tout le décor ?
Ces quatre grandes ballades ont été composées en 1952 et ont accompagné avec brio l’île Seguin durant ces deux soirées. On compte Le Page et la fille du roi, La Malédiction du chanteur, Requiem pour Mignon etChant de la nuit. Malgré les années qui séparent l’époque de Robert Schumann à la nôtre, le thème de l’autoritarisme abordé est encore d’actualité.
Chaque ballade a son thème mais sous chacun d’eux, sous-tend le désir de liberté, qu’elle soit de choix, d’opinion, d’action et d’être.
Le Page et la fille du roi, texte de Geibel que Schumann a adapté en musique, parle de la liberté d’aimer malgré les différences sociales. La Malédiction du chanteur met en exergue la liberté des peuples et le pouvoir indispensable de la musique.
Requiem pour Mignon et le Chant de la nuit abordent la brutalité des répressions politiques.
Par la musique, Schumann avait la volonté de panser les plaies du monde, un acte noble que nous pouvons encore saisir aujourd’hui grâce à Laurence Equibley, l’Insula Orchestra et Antonin Baudry.
C’est grâce à l’invitation de Laurence Equibley, chef d’orchestre et chef de chœur, fondatrice d’Accentus et d’Insula Orchestra que ce projet lyrique a été mis en scène par Antonin Baudry. Leur collaboration est une réussite. Ils ont su retranscrire avec justesse et éclat l’univers schumannien qui recèle un panel d’émotions comme l’amour, la gaité, la peur, la violence et la soif de justice.
Les animations qui accompagnent l’orchestre sont délicates, le visuel laisse sa place au sonore par un dessin épuré qui nous rappelle l’aquarelle, des formes mouvantes qui s’échappent, nous partage un ailleurs impalpable et nous suggère le rêve.
L’orchestre fait partie intégrante de la mise en scène, il trône au milieu, il raconte, il est comme un pendule qui guide la narration. Antonin Baudry rend un bel hommage à tout ce corps instrumental ainsi qu’au travail de Laurence Equibley. Il crée un pont entre le réel, le conteur, et l’imaginaire partagé par les projections d’images mouvantes, le rêve.
Le spectateur est capté par le mouvement de chaque musicien mené par la chef d’orchestre imprégnée de la partition.
Nous avons tout le temps d’admirer leurs gestes qui donnent naissance aux notes pour nous offrir cet ensemble d’une belle émotion.
La harpe joue un rôle prépondérant dans le récit. Elle est d’ailleurs au centre, seule, et se démarque de tous. On comprend tout de suite sa portée dans le spectacle.
Un jeu d’ombres chinoise souligne sa présence avec l’incrustation de son reflet au sein du tulle. Elle participe au songe auquel les ballades de Schumann nous renvoient.
Les chanteurs d’opéra prennent aussi part à cette mise en scène qu’Antonin Baudry souligne en les plaçant derrière le tulle pour qu’ils fassent corps avec le visuel et le monde onirique qu’ils nous donnent à voir et à écouter.
Ce fut un doux moment où le public était bercé par l’humanisme de ce fameux compositeur romantique.
Si vous souhaitez accéder à ce spectacle, une diffusion ultérieure est prévue sur Arte Concert, France Musique et à l’Elbphilarmonie de Hambourg en Allemagne.
L’Insula Orchestra vous donne rendez-vous pour d’autres représentations sur cet archipel suspendu où la musique classique est honorée.
Mathilde Nicot
La Seine Musicale, île Seguin, 92100, Boulogne-Billancourt