Enfin l’exposition « Mona Lisa TAPA tout dit » !
Ce satané virus qui impacte aléatoirement nos vies, nos espoirs et nos promesses aura, contre toute attente, stimulé l’organisation d’une exposition d’art contemporain sur le Tapa en Polynésie française. Initialement prévue en date de lancement du 15 avril pour la Journée Mondiale de l’Art nouvellement proclamée par l’UNESCO, la voilà qui se pérennise jusqu’à fin octobre 2020 et au-delà.
Pour rappel, le Tapa est une étoffe d’écorce battue. Bien plus qu’un habillement traditionnel, elle est un vecteur de mémoire.
Voir article http://itartbag.com/mona-lisa-tapa-tout-dit-la-grande-remise-en-question/
La première phase de l’exposition se caractérisa par une dématérialisation du lieu. Etant tous assignés à résidence, Claire Mouraby, Here’iti Vairaaroa et Valmigot, toutes trois artistes exposantes et organisatrices, décidèrent d’en faire une exposition virtuelle, relayée par les réseaux sociaux et servie en direct à domicile. Loin de s’essouffler, elle prit une ampleur inattendue et se vit rejoindre par l’artiste Titouan Lamazou. On aurait dû se douter qu’une histoire de femmes sur fond de Pacifique stimulerait le légendaire navigateur. C’est tout naturellement qu’il en devint le parrain avec une huile sur papier marouflée sur toile comme un trait d’humour, un petit coup de pied aux fesses aux idées reçues. Dans un sourire mutin, il déclare : « Non, les polynésiennes ne posent plus seins nus aujourd’hui. Mais Heiniti, mon modèle, que j’ai masqué en ces circonstances, ressemblait à ce point à une représentation « gauguinesque » que j’ai forcé le trait complétant ce portrait en empruntant son buste à une œuvre du maître – Nave Nave Fenua, 1892 ».
Pour voir cette œuvre et les autres, il vous faudra venir à Tahiti ou aller feuilleter le catalogue numérique de l’exposition.
Un bonheur n’arrivant jamais seul, l’évènement s’enrichit des œuvres de deux artistes nouvellement diplômés du CMA – Centre des Métiers d’Art de Polynésie française – dont le major de promotion Teva Paoli. Celui-ci propose un diptyque en peinture de carrosserie sur medium., « Patutiki et mondialisation ». Patutiki est l’art du tatouage chez les Marquisiens. Le tatouage, longtemps interdit, put sauver une partie de ses motifs en étant représenté sur du tapa.
Le tapa au fil du temps fut remplacé par le coton, ce qui accrut l’évaporation de la tradition.
Guillaume Machenaud, autre lauréat de la promotion 2020 du CMA, propose un spectaculaire cœur sculpté dans la rarissime pierre fleurie – phonolite à grenats – de Ua Pou – Îles Marquises. Cette pierre, secrètement gardée, très dure et délicate à sculpter, est une roche magmatique incrustée de grenat en pétale. Le titre de l’œuvre reprend poétiquement un passage de la légende de Nona L’Ogresse : « Elle cherche le cœur du jeune homme et l’ayant trouvé, constata qu’il battait encore ». L’artiste insuffle la vie et réactualise ainsi ce conte dans notre temporalité en déclarant les dimensions de l’œuvre… « variables » car vivante, vous l’aurez compris.
Les jeunes élèves d’une classe de l’Ecole de la Mission à Tahiti ont aussi travaillé sur le sujet sous la houlette de Moetu Fenuart, elle-même exposante. Cette artiste présente une monumentale installation à l’entrée de l’exposition. Un détournement par le feu de bâches plastiques de récupération, celles qui entourent les palettes de ravitaillement. Moetu ressent le Tapa comme une seconde peau, une peau malmenée par l’histoire. Elle met ainsi en perspective les enjeux liés à la tradition et à l’écologie dans cette approche qu’elle nomme « La dynamique du vivant ». Entremêlée dans cette peau/étoffe émerge l’œuvre textile d’Anne Bothuon. Un visage de femme qui dans sa fragilité filaire évoque ce lien qui nous unit, « ce fil nous relie tous ». Anne ajoute « notre corps est ce que nous avons de plus universel, de plus intime. ». Dans cette même réflexion, le titre de l’œuvre présentée par Claire Mouraby, « Rapprocher les bords », poursuit le dialogue. Elle confie que sur « le reste des traces nous construisons les rituels imaginaires qui nous habillent et nous consolent » jusqu’à trouver « les lignes de touches ».
Le nu sur mousseline proposée par la photographe Anna Marchlewska, dans toute son évanescence et accrochée en hauteur au plus près de la lumière naturelle apporte une transcendance au sujet.
Le temps suspendu a favorisé le rapprochement avec Vaiana Drollet de l’avant-gardiste Galerie Winkler. Séduite par le projet, elle a eu l’idée d’un « OFF » sur une partie de la sélection artistique. Elle a privilégié un nouveau souffle, a prolongé le concept de « laboratoire » dans la construction de sa proposition et a inclus dans sa programmation une suite à « Mona Lisa TAPA tout dit » du 29 octobre au 10 novembre en ses murs.
Des artistes émergents vont pour la première fois exposer en galerie, tels Pierre Motahi, Te Araiti, Maimoa, Concrètement Design, Iho Tumu…
Cette réflexion collective sur la philosophie du tapa a entraîné à sa suite les voisins du Pacifique, à savoir la jeune Galerie d’art contemporain Unicorn, dédiée à l’art de la rue, le Neo Pop et la figuration libre créée par l’artiste François Druart en Nouvelle-Calédonie.
Famax, Brigitte Barbe, Kiki du Mont Mou, Marceau Goulon et Marie Jarden-Devos sont les artistes du « caillou » qui ouvrent le dialogue sur le sujet. En effet par le jeu du décalage horaire, Nouméa accueillera les premiers visiteurs.
Ces premiers visiteurs à Tahiti furent, sans le savoir, les étudiants fréquentant la Bibliothèque les deux journées consacrées à l’accrochage. L’un d’entre eux, interpellé par la force des œuvres, pris son courage à deux mains pour déclarer à la directrice de la BU, Claire Mouraby, son désir de présenter une de ses créations. Elle le redirigea vers les deux commissaires d’exposition, Here’iti Vairaaroa & Valmigot, en pleine installation.
L’improbable souhait se produit, celui de créer des émules, d’ouvrir le champ des possibles, d’oser oser. Ce jeune étudiant marquisien en école de commerce, Warren Huhina, revint quelques heures plus tard avec une somptueuse sculpture en bois de rose sous le bras, puis enjoignit l’équipe à partager son ressenti sur le sens de l’œuvre. Quand ce fut à son tour de parler, sa main et son verbe tendus vers son Tiki racine, il déclara : « Ceci est mon texte ». A la question de la destination de l’œuvre, il ajouta : « Je l’ai créée pour des moments comme celui-là ». Claire Mouraby, Here’iti Vairaaroa et Valmigot lui confièrent, émues, qu’elles avaient créées cet événement dans ce même objectif, celui du rapport à l’autre.
Une exposition en dehors des normes à parcourir seul, en famille, entre amis ou avec un guide. Courez-y vite !
Info de dernière minute : Avant même le lancement de l’exposition réelle à la Bibliothèque Universitaire de la Polynésie française, un jeune artiste du territoire, Pierre Motahi, grâce à cette sélection a pu être repéré par le jury du Salon historique du dessin et de la peinture à l’eau. Il accrochera son travail lors de la prochaine édition d’Art Capital au Grand-Palais éphémère à Paris en février 2021.
Les artistes sélectionnés en Polynésie française sont :
A’AMU, BERNI, Anne BOTHUON, Sébastien CANETTO, Leia CHANG SOI, Jean CICUTTA, Corinne CIMERMAN, CONCRETEMENT DESIGN, Bruno CURET, Andreas DETTLOFF, Jean DUDAY, Eric FERRET, Jean Paul FOREST, K.XIII.F, Nelly GAY, GAYA, GOTZ, Lovaïna GUIRAO, IHO TUMU, KAY, Titouan LAMAZOU, Guillaume MACHENAUD, MAIMOA, Anna MARCHLEWSKA, MARERE, Henry Médeau, MOETU FENUART, MONCH, Pierre MOTAHI, Stéphane MOTARD, Claire MOURABY, Teva PAOLI, Libor PROKOP, RAVAGE, RIVAL, Karine ROUé, Tahiri SOMMER, THODé, TE ARAITI, Herearii TUAHU, VALMIGOT, VASHEE, Teva VICTOR et Warren HUHINA !
Les partenaires de l’exposition sont: La compagnie Air Tahiti Nui, le Musée de Tahiti et des Îles, le centre culturel Arioi Experience, le Haut-Commissariat de la République en Polynésie française, le CNFAP, l’AIAP.
Exposition du 29 septembre au 24 octobre 2020
Bibliothèque de l’Université de la Polynésie française
Campus d’Outumaoro – Punaauia BP 6570, 98702 Faa’a –Tahiti Polynésie française
Contact organisation : wad.tahiti@gmail.com
Libre accès au public de l’exposition aux heures d’ouverture de la BU dans le respect des usagers : du lundi au vendredi de 7h30 à 19h, samedi de 8h à 16h
Visites guidées gratuites par groupe de 8 maximum tous les mardis sur rendez-vous : Mardi 29 septembre : 10h – 11h – 14h – 15h – 16h ; Mardi 6, 13 et 20 octobre : 10h – 11h – 14h ; Parking gratuit
Galerie Winkler,17, rue Jeanne d’Arc, Papeete – Tahiti, https://www.galeriewinkler.net
Exposition du 29 octobre au 10 novembre, du mardi au vendredi : 9h/12h30 – 13h30/17h ; samedi : 8h30/12h
Galerie Unicorn, Le Shelly Beach, 18 rue Rémi Legoff, 98800 Nouméa – Nouvelle-Calédonie, https://m.facebook.com/unicorngalerie/
Exposition du 29 septembre au 24 octobre, du mardi au vendredi : 14h/18h et samedi : 9h/12h
Catalogue en ligne : https://fr.calameo.com/read/004630623fde7e1ec7927.
Chaine YouTube : https://www.youtube.com/channel/UCnILyhL2_ewhYMENN3voZSA/about?view_as=subscriber
Texte : Rose Bergé
Photos : Valmigot & Franck Chan San