Il est des lieux où le béton brut, les poutres rouillées et le silence des machines endormies deviennent les complices d’une poésie inattendue. À Boissy-le-Châtel, là où la Galleria Continua investit depuis 2007 les 10 000 m² d’une ancienne papeterie, l’art a trouvé un écho monumental, presque sacré. C’est ici, après un an de co-construction aux côtés de Pauline Giroux, que Pascale Marthine Tayou revient, dix-huit ans après Voodoo Child et Welcome Back Again !!!, pour offrir Tchâm : Confidences. Une exposition personnelle, vibrante, kaléidoscopique, à la fois intime et universelle. Ainsi, du 1er juin au 21 décembre, les visiteurs pourront explorer les recoins de cette exposition-anniversaire, célébrant vingt-cinq ans de complicité entre l’artiste et la galerie.

Tchâm est une consonance orale camerounaise, signifiant à la fois « confidence » et « confrontation ». Cette ambivalence constitue le fil rouge de l’exposition, et plus largement de la pratique de Tayou, « sculpteur d’identités mouvantes », arpenteur du Tout-Monde glissantien. Le projet fait d’ailleurs partie de Échos Noir, une programmation hors les murs en dialogue avec l’exposition Paris Noir, actuellement présentée au Centre Pompidou.
Tchâm refuse toute forme de figement : ce n’est pas un mausolée, mais une école buissonnière, une cour de récréation, une œuvre totale pensée comme une expérience sensible, vivante et en mouvement.

Né en 1966 au Cameroun, Pascale Marthine Tayou est un artiste autodidacte dont le parcours atypique échappe aux classifications rapides. Arrivé enFrance au début des années 2000, il connaît une reconnaissance internationale après sa participation à deux rendez-vous majeurs de l’art contemporain : la Documenta 11 de Cassel (2002), puis la Biennale de Venise (2005 et 2009). Depuis, il expose sur tous les continents : de Londres à Séoul, en passant par Sydney, Istanbul ou New York. Aujourd’hui installé en Belgique, Tayou développe une œuvre prolifique, hybride et transversale, qui traverse aussi bien les médiums que les thématiques : des questions postcoloniales à une réflexion sur la mondialisation, les identités, l’écologie, les récits diasporiques et les tensions de l’histoire. Derrière le « e » ajouté à son prénom, un clin d’œil ironique : une manière discrète mais éloquente de questionner les normes genrées et de brouiller les repères.
Pour Tayou, les œuvres sont des épices parsemées dans l’espace. Et c’est sous la forme d’une invitation à ce pèlerinage que l’on découvre, dès l’entrée, les Colorful Stones. Des cubes de granite coloré suspendus au mur, balises chromatiques qui accompagnent le visiteur tout au long d’une traversée presque initiatique. Elles nous guident d’abord aux fameuses statues colons, insérées dans des corbeilles à ramasser le café, dans un acte de réappropriation ironique.


On découvre également les poétiques Chalks Waves, fresques composées de craies minutieusement placées pour former des vagues sinueuses. Ces abstractions en mouvement évoquent la transmission du savoir, la craie étant un outil éducatif essentiel en Afrique de l’Ouest. Un univers visuel de l’enfance, cher à l’artiste. Cette dimension espiègle et douce, traversée par une nostalgie volontaire, se retrouve dans toute l’exposition.


L’œuvre Épines douces présente des pieux en bois colorés, semblables à d’immenses crayons de couleur, où la menace se teinte de tendresse. Juste à côté, Garden House déploie un faux village fait de photographies collées sur des panneaux et ponctué d’objets-outils, comme un décor fragile où l’image et le geste se rencontrent. Plus loin, le regard s’attarde sur des paillettes glissées dans des peaux, écho aux rituels sud-américains. Les Dirty Mirrors qui y font face distillent nos reflets, dans des gravures colorées, détails secrets à peine visibles. Des néons lumineux évoquent quant à eux l’amour de l’autre, comme un mantra totémique.



Cette énergie fluide se retrouve dans l’usage récurrent de matériaux quotidiens. Les œuvres issues de la série Plastic Bags, présentées pour la première fois à la Galleria Continua en 2001, réapparaissent ici dans de nouvelles configurations. Les sacs plastiques fins et colorés, omniprésents dans le paysage urbain d’Afrique de l’Ouest, incarnent une mémoire diasporique à la fois vivante, artisanale et marquée par la question du rebut. Tayou les transforme en surfaces vibrantes, en peaux collectives. Il en va de même avec les calebasses, objets naturels érigés en œuvres d’art.


On retrouve également les poupées Sacré Saint, aussi nommées Poupées Pascale. Des masques traditionnels, réalisés en cristal de lustres fondus. Plus tard dans l’exposition, ces masques ancestraux s’imposent une nouvelle fois à notre regard. Sublimés et suspendus aux branches de Survival Tree, inspiré de l’arbre à palabres. À son pied, des œufs de Pâques apportent une innocence à ce fragment de mémoire diasporique. Les labyrinthes de cannes ou l’architecture bricolée de Garden Houses prolongent ce jeu d’errance douce. Ils invitent à se perdre pour mieux se retrouver.


Certaines œuvres viennent enfin rejouer des moments phares du parcours de l’artiste, comme les Conférences, initiées en 2023 lors de l’exposition Petits Rien à la Galerie Yvon Lambert. Depuis, chaque exposition devient l’occasion d’en créer une nouvelle. Des chaises composites sont posées face à un mur où s’inscrit le nom d’un événement historique. La conférence de Berlin de 1884, par exemple, celle qui, selon Tayou, « a coupé l’Afrique comme un gâteau ». Ces installations n’imposent pas un discours, mais suscitent la discussion, l’échange, le débat.
David Crossing the Moon s’impose comme un geste lumineux, à la fois simple et puissant. Dans ce néon aux lignes épurées, la lune, la croix et l’étoile de David, symboles des trois monothéismes, fusionnent en un seul signe. Une constellation fragile et éclairante, qui convoque l’idée d’un dialogue possible. L’œuvre n’assène rien, elle propose : une vision apaisée, presque rêveuse, d’un vivre-ensemble qu’il devient urgent de réimaginer.


Avec Tchâm : Confidences, Pascale Marthine Tayou offre à la Galleria Continua non pas une simple exposition, mais une offrande de présence. Parmi les nombreuses installations, on retrouve plusieurs œuvres iconiques, parfois revisitées pour l’occasion, d’autres fois réinstallées telles qu’à leurs premières présentations. C’est d’ailleurs ce qui donne à Tchâm une dimension monographique d’état de l’art.
Fondée en 1990, la Galleria Continua investit les espaces de cette ancienne papeterie depuis plus de 15 ans pour créer un laboratoire artistique où se rencontrent cultures, esthétiques et temporalités. En offrant à Pascale Marthine Tayou ce cadre monumental et poétique, la galerie accompagne un dialogue vivant entre l’artiste, son parcours et le public.
Candice Guettey
Du 1er juin au 21 décembre 2025
Galleria Continua/Les Moulins, 46 Rue de la Ferté Gaucher, 77169 Boissy-le-Châtel.
Espace ouvert au public du mercredi au dimanche de 12h à 18h ou sur rendez-vous à l’adresse suivante : publics@galleriacontinua.fr.