Sous le ciel du Sud-Corse, à la tombée de la nuit, quand la lumière s’adoucit et que le vent descend des montagnes, des visages apparaissent sur les murs, les arbres, les rochers. Ce sont ceux des habitants du territoire, projetés à la tombée du jour dans une série d’installations poétiques signées Philippe Echaroux, artiste international connu pour ses portraits lumineux à l’échelle du paysage.




Le projet, intitulé TEMPI, est une initiative de la Communauté de communes du Sud-Corse. Il mêle art, patrimoine et mémoire pour raconter l’âme du territoire à travers celles et ceux qui le font vivre.
Dialogue entre l’humain et la nature, entre la fragilité de la lumière et la force du patrimoine bâti.
« Tempi » vient de l’italien (et du corse, qui en partage la racine latine tempus), et signifie littéralement « les temps » — au pluriel. C’est le même mot qu’en musique (tempo, tempi au pluriel), où il désigne les rythmes, les cadences — autrement dit, la manière dont le temps s’écoule, s’accélère ou se suspend.
Dans ce projet, le mot évoque plusieurs niveaux de sens : Le temps qui passe, celui de la mémoire et des générations, incarné par les portraits d’anciens et de figures locales ; Le temps du territoire, celui des saisons, des métiers, des gestes transmis, de la vie rurale et artisanale du Sud-Corse ; Le rythme humain, celui du regard, de la parole, de la rencontre — à l’image du projet lui-même, qui prend le temps d’écouter et de faire émerger les histoires.
Ainsi, « TEMPI » ne se traduit pas simplement par « temps », mais bien par « les temps » — au pluriel, pour signifier la coexistence des âges : le passé, le présent et l’avenir qui se répondent.
Le choix de ce titre résume à lui seul l’esprit du projet : faire dialoguer les époques, les mémoires et les visages, par la lumière et la poésie.
Philippe Echaroux n’a pas cherché des modèles anonymes. Il s’est tourné vers les visages familiers, ceux que l’on croise chaque jour sur les places, dans les ateliers ou les exploitations agricoles.
Parmi eux, Jeanne, 92 ans, ancienne institutrice à Sotta, qui a vu passer plusieurs générations d’enfants sur les bancs de son école. Antoine, berger à Figari, incarne à lui seul la tradition pastorale qui a façonné la région. Il y a aussi Maria et Paul, couple de Porto-Vecchio, qui perpétuent encore les gestes anciens de la récolte de l’huile d’olive.
Leur regard, empreint de modestie et de fierté, est désormais projeté sur les pierres des villages, comme pour rappeler que le véritable patrimoine est avant tout humain.
Il photographie les habitants dans leur quotidien, puis projette leurs portraits sur des lieux emblématiques — un mur ancien, un bastion, un arbre centenaire. La projection ne laisse aucune trace, elle ne dure que le temps d’une soirée, mais sa force émotionnelle demeure.





La lumière devient ici un langage. Elle redonne souffle aux vieilles pierres, fait vibrer les troncs et les façades, tout en dessinant des liens invisibles entre les générations. Dans chaque village, la projection devient un moment collectif : les habitants se rassemblent, reconnaissent un voisin, un parent, un ami. Des rires, des silences, parfois des larmes accompagnent la lumière.
Une création en mouvement
TEMPI est conçu comme un projet itinérant, qui circule de commune en commune : Porto-Vecchio, Bonifacio, Sotta, Figari, Pianottoli-Caldarello, Monacia-d’Aullène…
Chaque étape est préparée en collaboration avec les habitants et les associations locales. Avant la projection, des temps de rencontre permettent d’écouter les récits de vie, de recueillir des anecdotes, des chansons, des souvenirs. Ces moments nourrissent le travail artistique et ancrent le projet dans le réel. TEMPI évolue au fil du territoire. Nulle part il ne se répète : chaque lieu, chaque visage, chaque lumière compose une nouvelle histoire.
Philippe Echaroux, le portrait comme acte de transmission
Photographe et artiste visuel français, Philippe Echaroux est né à Marseille en 1983. Autodidacte, il s’est fait connaître par une approche singulière du portrait et par son travail pionnier dans ce qu’il appelle le « Street Art 2.0 » : des œuvres lumineuses projetées sur des supports naturels ou urbains, sans aucune intervention matérielle ni dégradation du lieu.
Sa démarche se distingue par un profond respect de l’environnement et par un humanisme constant — son art cherche moins à s’imposer qu’à révéler, à faire dialoguer l’image et le vivant.

Dès ses débuts, Echaroux s’est intéressé à la force expressive du visage, à ce qu’il raconte au-delà du cadre photographique. Après avoir travaillé dans la photographie de portrait et de célébrités (il a notamment photographié Zinedine Zidane, Usain Bolt ou Marion Cotillard), il choisit de quitter les studios pour explorer la projection lumineuse comme moyen d’expression artistique.
En 2016, il attire l’attention internationale avec « The Crying Forest », une série réalisée au cœur de la forêt amazonienne, en collaboration avec la tribu des Surui. Les visages projetés sur les arbres géants deviennent alors des symboles de la fragilité des peuples autochtones et de la nature menacée. L’œuvre, largement relayée à travers le monde, affirme Echaroux comme un artiste engagé, mêlant art, écologie et poésie visuelle. (cf article paru en 2016 : https://itartbag.com/philippe-echaroux-the-crying-forest/)
Depuis, il multiplie les projets dans des contextes variés — des villes européennes aux forêts nordiques, en passant par des sites patrimoniaux. Son travail a été exposé à Paris, New York, Montréal, Dubaï ou encore Genève, et ses créations continuent de questionner la place de l’humain dans son environnement.
Avec TEMPI, projet réalisé en 2025 avec la Communauté de communes du Sud-Corse, Philippe Echaroux poursuit cette exploration du lien entre territoire et mémoire. IL s’est plongé dans le Sud-Corse avec une attention particulière à la simplicité des rencontres. « Ce projet, dit-il souvent, ne parle pas seulement de mémoire, mais de gratitude. De ce que nous devons à ceux qui étaient là avant nous. » Ici, ses portraits lumineux deviennent un hommage à la transmission et à l’identité collective, offrant à la Corse une œuvre à la fois poétique et profondément humaine.
Un patrimoine vivant et une expérience partagée
Au-delà de l’installation artistique, TEMPI propose une expérience collective s’inscrit dans une démarche de valorisation du patrimoine immatériel. Il fait émerger les histoires, les traditions et les émotions qui habitent les villages du Sud-Corse. Il offre aussi une nouvelle manière d’aborder le patrimoine : moins comme un décor, plus comme une présence vivante.
TEMPI rappelle qu’un territoire se raconte par ses habitants autant que par ses monuments.
Sous la lumière d’Echaroux, le Sud-Corse devient un livre ouvert : chaque visage est une page, chaque projection un chapitre de cette grande histoire commune.
Et lorsque la nuit s’éteint, il reste dans les regards des spectateurs une émotion simple — celle d’avoir croisé, l’espace d’un instant, la beauté de la transmission.
Véronique Spahis
Infos pratiques :
Démarré en juillet 2025, TEMPI est organisé parla Communauté de communes du Sud Corse (CCSC), Rue Maréchal-Juin, 20137 Porto-Vecchio (2A), en collaboration avec l’artiste Philippe Echaroux
Pour découvrir les lieux de projection actuels et les portraits de ces doyens : https://www.tempi.corsica/projections/
Site web pour consulter le parcours complet & le planning : www.tempi.corsica
