Cette pièce est le fruit du travail foisonnant de Marc Michel Bouchard qui avait lui-même mis sur pied le scénario de l’adaptation proposée sur grand écran par Xavier Dolan. Sans trop dévoiler les ressorts de l’intrigue, on peut dire qu’il s’agit là d’esquisser en creux les contours d’un personnage absent et occupant pourtant tout l’espace, toutes les pensées des protagonistes qui se meuvent sur scène. Le deuil les étreint avec violence. Le trouble, les questionnements prennent corps dans un texte exigeant, s’il en est, coupé à la serpe, haché, malmené comme le demeureront les proches toute la pièce durant. Ils tentent désespérément de savoir qui était le défunt. Au-delà du drame d’un accident somme toute banal à crever, chacun devra se frayer un chemin pour entrevoir les multiples facettes d’un homme qui semblait prendre un malin plaisir à ne jamais les montrer dans leur entièreté à ceux qui l’entouraient.
Les secrets de famille constituent un terreau ô combien fertile en littérature comme en dramaturgie, ce depuis la tragédie grecque. Pour avoir personnellement assisté à la création de ce spectacle, je peux témoigner de l’acharnement de Vincent Marbeau à rendre avec la plus grande justesse le sel de cette histoire et de ses habitants. Parfois étreint par le doute, le metteur en scène en donne à voir une version bouleversante. Les quatre personnages se fracassent les uns contre les autres et surtout contre un passé dont il s’avère bien délicat de tourner les pages. Pour parvenir à poursuivre leur route au-dessus du gouffre béant que l’être cher aura laissé sous leurs pieds, ils n’auront d’autre issue que d’accepter de se frotter aux réalités, sombres et intimes, de celui qui les a quittés brutalement.
Dans une mise en scène sobre laissant toute la place à la puissance des dialogues, le casting rend à merveille l’âpreté de la situation à l’origine de leur rencontre. Les corps et les dires se cognent dans le but incertain de faire émerger une forme de vérité dont chacun détient une des clés du trousseau. Aux limites de la folie, les cris, les attaques physiques et verbales, les hésitations et atermoiements le disputeront aux quelques moments de douceur et d’humour. Les spectateurs quittent la salle secoués et pantelants, et c’est sans doute ce que recherchait en définitive l’auteur. Afficher sa différence, son orientation sexuelle demande force et courage. Et l’on comprend mieux, après avoir assisté à cette perle de la rentrée théâtrale, pourquoi certains résistent aux injonctions sociales et familiales d’avouer ce qui au fond ne regarde que soi.
Le pitch : Tom, un jeune publicitaire, se rend à la campagne pour les funérailles de son amant.
Là, il rencontre pour la première fois la famille du défunt : la mère, qui n’a aucune idée de qui il est et de ce qu’il représente pour son fils, et le frère, dont le principal souci est de cacher la vérité à tout prix, lui volant par là-même son deuil.
Les bouts effilochés de la vie de Tom et de ceux de la mère et du frère du défunt, cherchent par instinct, par survie, à se nouer à quelque chose d’autre, à un autre bout de fil effiloché. Peu importe qui. Peu importe quoi. L’autre devient en partie synonyme de celui qui n’est plus là ; un frère, un fils, un amant. Pour Tom, cet endeuillé en perte de repères, les mensonges deviennent des vérités et les coups, des caresses.
Une pièce avec de la violence et du désir, des remords et des regrets, mais aussi des touches d’humour.
David Fargier
Tom à la ferme : Auteur : Michel Marc Bouchard ; Mise en scène : Vincent Marbeau – Avec : Vincent Marbeau, Lydie Rigaud, Léonard Barbier et Milena Hernandez
Jusqu’au 8 octobre 2022, du mercredi au samedi
Manufacture des Abbesses, 7 rue Véron, 75018 Paris