« J’ai pris la situation comme l’arbre, de plein fouet. » Jean-Philippe Blondel a le sens de la formule. Ses phrases, courtes, font tilt à chaque fois en nous touchant au fond du cœur. Sa sincérité transparaît à chaque page et n’a rien d’un stupide accident. Il livre son quotidien dominé par le cancer, le mal contemporain par excellence. Soudainement, il se retrouve dans le mauvais camp, le camp de ceux atteints d’une maladie grave et souvent incurable. « D’un seul coup, je me retrouve de l’autre côté – ceux qu’on regarde avec compassion dans les journaux du soir (…). On soupire, on murmure ‘les pauvres gens’ et on est plein de commisération pendant au moins trente secondes. On a tendance à changer de chaîne ensuite. »
C’est une vie ponctuée et traversée de « pourquoi ? » sur les aléas de la vie pleine d’embuches et de maux d’un professeur d’anglais de 56 ans qui n’en demandait pas tant… et constatant qu’il est vraiment « un être-pour-la-mort » (Martin Heidegger) qui joue à chaque instant son destin mortel afin de mieux rebondir et s’accrocher à la vie. Il est là, toujours bien vivant et presque bien dans sa peau de survivant. Malgré son lot de pourquoi à répétition… qui cultive sa chance de rester en vie.
Pourquoi Jean-Philippe Blondel a-t-il décidé ce jour-là de prendre le train et non la voiture familiale, échappant ainsi à l’accident qui a emporté sa mère et son frère ? Pourquoi un deuxième accident coûta la vie à son père, le laissant, à vingt et un ans, terriblement seul ? Pourquoi, quatre décennies plus tard, le destin le rattrape-t-il, l’obligeant à regarder de nouveau la mort en face ? Avec un cancer en prime, qui le mine et le ronge. Amour et cancerolution, si j’ose dire.
D’une histoire de vies et de morts à répétition qui aurait pu être racontée avec des sanglots et des pleurs, Jean-Philippe Blondel en tire un récit empreint de tendresse et d’autodérision, le livre joyeux et lumineux d’un homme qui a traversé le feu et qui relève la tête. Sans jamais se plaindre et se prendre au sérieux. Il nous prend tous à contrepied… A la manière d’un Louis Aragon dans « Les yeux d’Elsa », il crie à tous « On pourra m’ôter cette vie, mais on n’éteindra pas mon chant ».
Christian Duteil
Traversée du feu de Jean-Philippe Blondel
Editions de l’iconoclaste – Paru le 25 janvier 2024 – 202 pages – 20, 90 €