Au musée de l’Armée, les commissaires de l’exposition « Un exil combattant. Les artistes et la France 1939-1945 » offrent un panorama riche et brillant des artistes exilés pendant la Seconde Guerre mondiale. Mêlant histoire et art, cette exposition propose une lecture de l’Histoire à travers un nouveau prisme, à découvrir du mercredi 26 février au dimanche 22 juin 2025.

Comment raconter la Seconde Guerre mondiale aux générations actuelles ? Ce conflit, si souvent dépeint sous un angle militaire et politique, est ici abordé à travers le rôle essentiel des artistes et intellectuels contraints à l’exil. Leurs œuvres et leurs voix furent décisives dans la préservation de l’« esprit français », selon l’expression du général de Gaulle (Alger, 1943), diffusant les idées d’une France libre.

À l’occasion des commémorations nationales des 80 ans de la Libération en 2024, cette exposition propose un regard inédit sur le rôle des artistes exilés durant la Seconde Guerre mondiale. Le parcours est structuré selon quatre volets géographiques narrant les différents exils imposés par la guerre. De Marseille aux États Unis, en passant par Londres, Brazzaville, Cuba ou encore Alger, ces itinéraires révèlent une diversité de formes d’exil ayant engendré une pluralité de militantismes culturels. Tous convergent vers un même objectif : défendre une France placée sous le signe de la liberté, tant dans la création que dans l’engagement et la pensée.
Le parcours oscille entre des moments de lutte, de souffrance et d’émerveillement face à des personnalités courageuses, dont les portraits sont soigneusement élaborés pour leur rendre hommage. Figurent notamment André Masson, Germaine Krull, Wilfredo Lam, Jean Hélion, René Cassin, Maria Helena Vieira da Silva, Henry Valensi, Micheline Rosenberg, Fernand Léger, Jean Gabin, et bien d’autres.

La scénographie mêle divers supports visuels et sonores, créant une atmosphère immersive où le visiteur suit l’épanouissement de l’esprit français en pleine guerre.
Les enjeux londoniens de l’époque sont contés sur fond de musique de la BBC, tandis que des tracts sont parachutés du plafond de l’exposition. Deux lieux emblématiques sont reconstitués : l’atelier new-yorkais du peintre et sculpteur Ossip Zadkine, exilé dès 1941, ainsi que la fameuse librairie new-yorkaise Gotham Books. Peu connues du grand public, les collections rassemblent une richesse d’œuvres, de textes et d’objets issus de dons et de nombreux prêts d’institutions françaises et de particuliers.



Entre attente et création
Marseille fut une « contre-capitale » intellectuelle pendant la guerre. De nombreux exilés s’y réfugièrent, espérant réunir les documents nécessaires pour quitter la France. Dans l’attente, plusieurs artistes surréalistes, dont André Breton, Max Ernst, Wifredo Lam, Marcel Duchamp, Jacques Herold et Victor Brauner, comblèrent leur ennui en fusionnant leur créativité, ce qui donna lieu à de nombreuses œuvres collectives.


L’exil vers la Grande-Bretagne
Rallier Londres en juin 1940 rimait avec une rupture totale de sa vie d’avant. Il fallait croire fermement en la victoire, désobéir au gouvernement de Vichy et accepter de tout abandonner : milieu social, profession, famille.
« Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ». Le Chant des partisans, composé en 1941 à Londres par la résistante Anna Marly, fut diffusé sur la BBC, qui laissait du temps à l’antenne aux pays occupés pour transmettre leurs revendications de paix. Véritable cri de ralliement et appel au combat adressé aux Français, ce chant fut secrètement utilisé pour franchir le brouillage radio nazi et devint l’hymne de la Résistance. L’exposition présente la guitare d’Anna Marly ainsi que le manuscrit original du Chant des partisans, dont les paroles en français furent écrites le 30 mai 1943 par Joseph Kessel et Maurice Druon.
L’action de résistance de la Maison Cartier est également mise en lumière, notamment à travers son appui logistique à la constitution de la France libre. Etienne Bellanger, représentant londonien de Jacques Cartier, mit à disposition en 1940 à Londres une Rolls Royce arborant un fanion à croix de Lorraine, tandis que de nombreux bijoux furent créés pour la France libre
Toutes ces actions avaient un même dessein : montrer à l’opinion publique que toute la France est derrière la France libre et le général de Gaulle.


Les territoires ralliés : Brazzaville et la propagande de Henry Valensi
A l’instar de Marseille, Brazzaville fut considérée comme la capitale de la France libre et un centre majeur de propagande en sa faveur. L’artiste Henry Valensi participa activement à cet effort, définissant clairement son art comme une œuvre de propagande, où son rôle était de faire connaître la résistance. Certaines de ses miniatures sont exposées, ces études préparatoires à échelle réduite, conçues pour être ensuite reproduites en grand format afin d’être vues par tous.

L’enfer administratif : un exil entravé
L’exposition retrace l’enfer administratif que représentait la collecte des pièces nécessaires pour quitter le territoire français. Cette confrontation au « mur de papier », selon l’expression de l’historien américain David Wyman, empêcha de nombreux candidats à l’exil de fuir le pays. Ce fut le cas de Victor Brauner, peintre juif roumain, qui ne parvint pas à obtenir un laissez-passer pour les États-Unis. Contraint à vivre dans la clandestinité et la précarité, il réalisa en 1941 Souffrance, souffrance, une œuvre reflétant son paysage intérieur.

L’Amérique du nord : un accueil à double visage
Les États-Unis accueillirent environ 8000 à 9000 français, parmi lesquels une grande partie appartenaient à l’élite de l’esprit. Beaucoup n’étaient pas gaullistes et un grand nombre étaient même très critiques vis-à-vis du général de Gaulle et de la France Libre, témoignant une volonté de composer avec le régime de Vichy.
Le fameux mobile à la croix de Lorraine intitulé France Forever réalisé par Alexander Calder en 1942 est exposé, illustrant cet engagement transatlantique. Acquisition récente du musée de l’Armée (2020), sa visée était de montrer aux Américains que la France n’était pas à genoux.


Vous pourrez visiter cette exposition en famille, le parcours étant jalonné de panneaux pédagogiques destinés au jeune public. Ce projet a été réalisé en partenariat avec des élèves de primaire issus d’écoles prioritaires.
Cette exposition rappelle à quel point l’artiste et l’intellectuel permettent une prise de recul essentielle sur l’histoire, lorsqu’elle s’écrit au présent. Leur action ne se situe pas seulement dans les idées, mais peut être concrète, menant à une Résistance culturelle nécessaire en temps de guerre – un « exil combattant ».
Agathe Comby
du 26 février au 22 juin 2025
Musée de l’Armée, 129 rue de Grenelle – côté Esplanade des Invalides (seul accès possible pour les nocturnes le 1er vendredi du mois à partir de 18h)
2 place Vauban – côté Dôme des Invalides (ouvert de 14h à 18h)
Tous les jours de 10h à 18h – Nocturne le premier vendredi du mois jusqu’à 22h