Zarina Khan, philosophe, actrice et réalisatrice, nominée en 2005 pour le prix Nobel de la Paix au sein d’un collectif de 1000 femmes – en hommage à son militantisme pour la protection des droits de l’homme et de l’enfant – nous livre son dernier tome de la trilogie La sagesse d’aimer.
L’œuvre à la joie vient clore ce récit autobiographique aussi exaltant qu’un roman.
Cette femme française d’origine russo-pakistanaise née en Tunisie retrace les tumultes et les joies de sa vie, de sa naissance en 1954 au sein de la colonie russe de Tunis jusqu’à l’acceptation de son destin, en Ardèche, en 2021.
Dans le premier tome, La sagesse d’aimer, elle nous confie les treize premières années de sa vie douloureuse, confrontée au racisme et victime d’inceste par son beau-père, ancien nazi.
Dans le second, La forge solaire, Zarina Khan découvre la Russie, pays de sa mère qui la replonge dans les références de son enfance, mais aussi l’amour et le désenchantement.
Dans ce 3ème volet, L’œuvre à la joie, nous sont révélés les années de son premier mariage puis ses amours délétères, la découverte du pays de son père, le Pakistan ainsi que son combat pour se faire une place au sein du monde artistique, théâtrale et cinématographique.
Ce roman est d’une sensibilité inouïe, il nous bouleverse, nous touche, nous fait pleurer, rire et réfléchir. Il est une ode à la vie car Zarina Khan est, à elle seule, une leçon de courage.
Elle nous incite à voir la beauté jusque dans les moments les plus sombres de la vie.
Pour l’auteure, la création est un moyen de libération. Par l’art, la quête de la guérison se met en marche et c’est notamment par le théâtre qu’elle commencera ce travail de délivrance. Elle crée d’ailleurs sa compagnie théâtrale en 1984 pour honorer et faire vivre la passion qu’elle porte pour ce 6ème art.
La scène est un lieu qui la protège, et lui permet d’être cette autre.
Cette écrivaine est une grande littéraire. Les mots, elle les adore. Elle nous explique leur étymologie. La racine dit beaucoup sur le sens du verbe et Zarina Khan est là pour nous le rappeler. Aussi, les récits de la Grèce antique sont au cœur de son œuvre (entre Les 7 contre Thèbes d’Eschyle, Socrate, le retour et la trilogie de La sagesse d’aimer).
Elle met en parallèle sa vie avec celle d’Œdipe : l’auteure nous confie qu’elle est sous l’emprise d’une malédiction. Contre vents et marées, la tragédie qui s’abat sur elle est inéluctable, inévitable. Au sein de cette civilisation, elle trouve aussi de nombreux alliés qui deviendront des compagnons de vie et la guideront avec intelligence : elle marche dans les pas de Sophocle, Platon, Socrate et Eschyle.
Zarina Khan a le cœur grand ouvert pour s’abreuver de la magnificence humaine, de l’art tout entier, de la confiance, du respect, de la beauté et surtout, de l’amour…
« Tandis que ma vie familiale sombre dans le chaos, (…) je vais vers la création encore une fois pour survivre. L’art est le seul espace qui m’accueille, sans condition, l’art devient mon pays, ma trêve, mon havre. »
En nous partageant ces bouleversants moments de son histoire, elle nous rappelle que nos peines, nos souffrances, nos traumatismes, sont universels, que l’homme se reconnait dans les sentiments, les émotions palpables d’autrui.
En délivrant notre parole, nous délions d’autres langues. Cet exorcisme produit un effet de délivrance et de résilience.
Au-delà de son histoire, elle met en lumière le cheminement de chacun.
Notre destin se brode à partir de notre passé et de l’empreinte qu’il aura, à jamais, laissé en nous : « Oui, notre vie est faite d’histoires qui tissent l’histoire de notre vie ». Il va alors, inconsciemment, être la raison de nos choix.
Comment se rendre compte, avant tout dommage collatéral, que nous reproduisons notre schéma familial que l’on veut à tout prix éviter, quand celui-ci est gorgé de blessures ?
Zarina Khan soigne les autres mais aura eu du mal à accéder à sa propre catharsis.
« Parce que l’histoire est faite aussi de tristesse, et que fermer les yeux pour l’ignorer ne l’efface pas. Peut-être que la souffrance à laquelle nul n’échappe, est le fondement de la joie. »
Un père absent pendant trente-trois années de sa vie (de 3 ans à 36 ans), un beau père qui abusera d’elle de 6 ans à 12 ans.
Adulte, Zarina Khan s’éprendra d’un homme meurtri qui la battra. Leurs deux enfants seront élevés sans leur père, sombrant dans la maladie.
Elle se console avec un autre qui abusera de sa fille. Elle voulait détruire le carcan de sa malédiction mais malheureusement, le destin l’y ramène malgré de maintes et vaines tentatives d’esquive.
« Là, c’est là que se situe le théâtre qui me hante, celui où la théâtralisation de l’histoire nous amène à ouvrir les yeux sur notre réalité, à comprendre que l’Histoire, nous l’écrivons à chaque instant, chacun, et que nous avons l’immense responsabilité de cette création qui affecte le vivant. L’œuvre majeure est notre vie. »
Mais, cette femme brillante a connu le véritable amour. Elle remercie toutes les femmes qu’elle aura croisé sur son passage qui l’aideront à surmonter de dures épreuves. On peut, par exemple, citer une esthéticienne mariée à un homme riche qui l’aidera à acheter un appartement qu’elle rêvait d’avoir alors même qu’elle ne la connaissait que depuis 20 minutes. Il y a aussi et surtout sa mère, qui lui a apporté sa culture russe, donné son courage et donné à voir la beauté du monde. Mais encore sa grand-mère, qui lui a donné de l’amour et des leçons de vie qu’elle n’oubliera jamais. Sans oublier Kira, une femme pleine d’espérance qui sera pour elle une seconde mère qu’elle a rencontrée à Sarajevo lors de sa semaine d’atelier : Kira et son mari étaient sa famille d’accueil.
Ces femmes prennent une grande place dans ce roman. Elles portent en elles le courage et la force en incarnant les amazones des temps modernes.
Elle rend également hommage à ces centaines d’enfants qui ont illuminé son parcours, tout aussi courageux et valeureux.
Elle nous livre ici, que chaque enfant qu’elle a croisé a réussi à se mettre à nu, a eu la force d’exorciser ses souffrances par l’écriture qui prendra ensuite corps dans le propre rôle des enfants-acteurs. C’est ainsi que Zarina Khan et les enfants de Sarajevo (puis d’autres) ont créé Le Dictionnaire de la Vie qui regroupent des définitions toutes plus humanistes les unes que les autres. L’enfant parle avec le cœur et se défait rapidement de ses préjugés, il suffit juste de lui montrer que dans la différence, nous baignons dans le pareil.
« Tout est possible, il n’y a pas de limites à la beauté, l’impossible ne cesse de se réaliser lorsqu’on ne le rejette pas, qu’on lui laisse un espace, l’impossible prend sa place, délicatement, l’attire hors de nos rêves, entre dans la matière. L’impossible est notre allié, (…) acrobate souple, (…) il s’élance dans le réel, habillé de nos songes, de nos visions, de nos espérances, pailletés de nos plaies, de nos blessures, il dévie la main du tourneur de manivelle, la suspend, et le programme se tait pour laisser place à l’imprévisible. »
Malgré son chemin tortueux, elle nous rappelle à quel point l’homme est bon, doué et beau. La bonté dépasse la haine et c’est grâce à cela que nous restons en vie. Elle nous dit l’enchantement, incantare, qui nous entoure, la poésie du monde.
« Je sillonne le ciel et la terre. Leur chant m’accompagne, me porte. Incantare, l’enchantement. »
Cet ouvrage nous rappelle que l’existence est faite de rencontres incroyables qui nous mèneront vers de nouveaux possibles. Zarina Khan nous laisse sans voix.
Ses possibilités de générosité et de partage sont infinies. Elles l’auront conduite à rencontrer de nouveaux pays, de nouvelles cultures, de nouvelles personnes en qui elle a eu foi, à qui elle a donné sa confiance et son énergie lorsqu’elle percevait de la beauté.
A travers cet opus, vous découvrirez une femme quia beaucoup apporté à tous ceux qu’elle a croisé et croise encore sur son chemin.
Pour moi, Zarina Khan est une personne extraordinaire ! On ne peut que souhaiter qu’il y en ait davantage pour soigner et panser notre monde.
Plongez-vous dans cet ouvrage magnifique, à la plume aiguisée qui chante la beauté.
Vous pourrez aussi y découvrir, comme dans un écrin, un cahier photo qui illustre certains moments de sa vie qu’elle nous a partagé et qui nous rend plus familiers tous les protagonistes que nous avons croisés.
Cher lecteur, L’œuvre à la joie possède une dimension spirituelle, humaniste et poétique. Pour tout cela, je remercie Zarina Khan.
Mathilde Nicot
L’œuvre à la joie, tome 3 de La sagesse d’aimer écrit par Zarina Khan
Editions Hozhoni – paru le 8 avril 2021- 536 pages incluant un cahier photo – 22 euros