Le musée Cernuschi nous entraîne dans une poétique rétrospective historique de l’histoire de l’utilisation de l’encre dans la peinture chinoise du siècle dernier. Cette exposition enchante autant qu’elle dépayse, car les œuvres présentées sont très éloignées de nos référentiels occidentaux. L’encre en mouvement explore ainsi les liens intrinsèques qui existent entre la peinture et la calligraphie en Chine.
De rares vidéos d’archive côtoient les fragiles peintures : elles sont des témoignages des artistes en train de créer. Ceux-ci peignent à plat, et tiennent le pinceau de manière presque perpendiculaire à la feuille. Contrairement aux plusieurs mois voire années que mettent les peintres européens à finir un tableau, les grands maîtres chinois, lorsqu’ils sont expérimentés, ne passent que quelques minutes à réaliser leur peinture.
L’exposition met en évidence les différents courants théoriques qui traversent le XXème siècle. En effet, la peinture à l’encre n’est pas un mouvement à part entière, mais un médium. Les artistes se nourrissent par exemple de la calligraphie, comme Qi Baishi, qui traite de sujets du quotidien.
D’autres peintres s’inspirent du réalisme : Zhang Daqian compose des paysages idéaux. Ceux de Fu Baoshi ne sont, eux, pas sans rappeler un certain impressionnisme.
Les fluctuations politiques influencent également la création artistique. Lorsque durant les années 1940, face à l’occupation japonaise de l’est du pays, le gouvernement et toute l’élite intellectuelle chinoise déménage à l’ouest, c’est l’occasion pour les artistes de découvrir des paysages, des milieux sociaux et des ethnies différentes. Zhang Daqian dépeint alors ces Deux Tibétaines aux dogues. L’époque maoïste est elle aussi vecteur de changements dans les sphères artistiques : les artistes vont se former en Union Soviétique, et les commandes officielles leur font adopter le réalisme socialiste. Le contrôle exercé sur la production d’œuvres d’art à cette époque explique la présence de nombreuses esquisses — destinées à être présentées à un comité de censure — dans les collections du musée, tel que cette ébauche d’Avancer contre vents et marées de Tag Xiaohe.
L’encre en mouvement rend également compte des nombreuses influences étrangères qui ont façonné la peinture à l’encre. En effet, les échanges culturels sont fructueux, tant avec le Japon durant l’ère Meiji, qu’avec l’Occident dans la seconde moitié du XXème siècle. Certains artistes partis créer à l’étranger, comme Walasse Ting ou Zao Wou-Ki, détournent de manière humoristique des thèmes traditionnels. D’autres artistes font leur formation académique en Europe, et s’approprient des thèmes occidentaux, comme le nu, pour les traiter avec leur médium de prédilection, l’encre. Celle-ci permet une métamorphose du corps, comme le montrent les nus de Pa Yuliang.
Enfin, les années 1980 et 1990 témoignent d’une évolution de l’utilisation de l’encre, qui tend vers l’abstraction, tout en conservant une inspiration traditionnelle : changer, sans pour autant « couper le fil du cerf-volant », selon la jolie phrase de Wu Guanzhong. Une métaphore qui résume bien cette plongée dans l’histoire de la peinture à l’encre, en tension entre tradition et modernité.
Marie Agassant
du 21 octobre 2022 au 19 février 2023
Musée Cernuschi, 7 avenue Velasquez, 75008 Paris
Ouvert du mardi au dimanche, de 10h à 18h