Entre peintures, sculptures et réalisations en verre, plongez avec nous dans l’univers de Mathilde Rosier à travers son exposition Dans les champs d’intensive prospérité.
Peintre depuis ses 17 ans, c’est quand elle se retire dans sa maison de Bourgogne après ses études aux Beaux-Arts que l’artiste française mûrit sa réflexion autour de la nature comme espace de vie sensible qui subit l’action de l’homme. Pour tenter de comprendre comment le rapport entre l’homme et la nature a pu s’inverser, Mathilde Rosier s’est intéressée au mode de vie et aux rites anciens jusqu’à remonter au néolithique. C’est tout cela qu’elle tente de retranscrire dans ses œuvres, avec une émotion et une philosophie touchantes et d’autant plus actuelles au regard des enjeux écologiques qui prennent de plus en plus d’ampleur.
L’exposition met en avant les champs de céréales à travers de multiples œuvres, certaines ayant déjà été exposées auparavant. Les champs symbolisent d’une part cet éloignement du vivant par la domestication d’une nature dite indisciplinée mais d’autre part cette volonté d’un retour au réel par la création d’un nouveau rapport homme/nature.
Cette exposition dépasse le champ visuel et nous emmène dans une réflexion profonde autour de notre organisation sociétale. Les œuvres nous confrontent à cette opposition que nous avons progressivement construite avec la nature. Elles nous prouvent que l’apparition de la technique et de la mécanique nous a progressivement éloignés du réel, de l’essentiel.
Mathilde Rosier nous expose son approche holistique et sensible à travers ses œuvres qui sont finalement à l’image de cette nature progressivement transformée. Sa lecture se veut non mécanique, à l’écoute du réel et des ressentis pour retranscrire une histoire qui nous dépasse. Cette vie sensible engage donc une réflexion quasi philosophique sur la place de l’homme dans un monde en perpétuel changement, et sur son rôle passé, présent et futur. Les champs sont donc une métaphore de cette société humaine en mutation, ils s’inscrivent à la fois dans le temps et dans l’espace.
L’artiste est convaincue qu’il est nécessaire d’aborder ce thème avec une approche émotive et philosophique. Elle est persuadée qu’il est possible de créer un nouvel espace d’interconnexion entre l’art, la nature et le corps social. Son art est pour elle un moyen d’expression de la nature et de ses revendications. C’est pourquoi elle a choisi d’incorporer des flèches à ses œuvres, symbolisant un échange, une fluidité, mais aussi une renaissance. Cette notion de renouveau se retrouve dans chaque œuvre, mais particulièrement dans les Yeux, œuvre en verre.
Cette collection nous confronte au monde et à ses enjeux et nous invite à vivre une expérience onirique et mythologique. Au fil du temps, la coexistence entre l’homme et la nature a laissé place à des rapports de domination entre ces derniers, réduisant à néant l’idée d’une nature dotée de droits et de sens, qui mérite une forme d’empathie et d’affection. C’est cette coexistence que l’artiste a souhaité retranscrire dans ses œuvres représentant des figures humaines et animales. Les peintures, Portrait avec insecte ou encore Champ solaire avec masque, en sont une illustration. Certaines figurent des céréales ayant pris une forme humaine mais toutes ont un masque en forme de céréale. Elles montrent que la nature se confronte à l’homme, comme l’illustre Le massacre du printemps, vidéo de 20 minutes créée par l’artiste dans laquelle les céréales côtoient nos villes et nos espaces.
Au cours de l’exposition nous avons eu l’occasion d’échanger avec l’artiste et de lui poser quelques questions :
Aviez-vous une idée en tête quand vous avez sélectionné plusieurs supports différents pour l’exposition ?
« C’est un peu les circonstances, j’ai été invitée à travailler le verre au Cirva à Marseille, cela m’a permis de faire une déclinaison de la même idée qu’on retrouvait déjà dans les peintures. Je voulais transmettre cette idée de la conscience qui est retenue dans la graine et qui est symbolisée par la présence de l’œil, qu’on retrouve aussi dans les peintures des troncs d’arbre. On peut voir des yeux et des faisceaux qui symbolisent la vie qui reprend.
Certaines peintures font partie d’une série qui date de 2016, j’en ai fait une vingtaine. Ce sont des personnages qui représentent un peu une nouvelle mythologie, et c’est ce que j’essaie de faire à travers tout le travail, c’est-à-dire que j’essaie de recréer une nouvelle mythologie naturaliste. J’ai adjoint récemment les masques, qu’on peut aussi retrouver dans la vidéo. »
Vous souhaitez faire réfléchir le spectateur sur le rapport entre la nature et l’humain mais en même temps vos œuvres appellent au rêve. Est-ce que votre volonté est plutôt d’ancrer le spectateur dans le monde avec ces réflexions ou plutôt lui permettre de s’échapper d’une réalité qui le dépasse ?
« Il y a une volonté d’appuyer une prise de conscience qui est très intellectuelle. On a beaucoup de livres, de faits scientifiques qu’on a depuis 50 ans, depuis les années 1970, mais tout cela ne provoquait rien jusqu’à présent car cela ne rentrait pas dans les émotions. Aujourd’hui cela commence à marquer parce qu’il y a des effets visibles sur l’environnement. Je souhaitais retranscrire une réalité scientifique à un niveau poétique et émotionnel. Les artistes doivent prendre le relai, un fait qui est connu sur un plan intellectuel ne pourra pas être saisi par tous. »
Cette exposition riche de sens nous invite à réfléchir sur notre rapport passé, présent et futur à la nature et sur un monde en profonde mutation.
Apolline d’Hoop
Du 16 mai au 22 juillet 2023
Fondation Pernod Ricard, 1 cours Paul Ricard 75008 Paris
Du mardi au samedi, de 11h à 19h ; Nocturne mercredi jusqu’à 21h ; Lundi sur rendez-vous