Dialogue Monet-Mitchell

La Fondation Louis Vuitton, en partenariat avec le Musée Marmottan Monet, propose un dialogue entre les chefs-d’œuvre de la période tardive de Claude Monet (1914-1926), les Nymphéas, et l’œuvre de l’artiste américaine Joan Mitchell. L’exposition est présentée à travers sept galeries, complétée d’une rétrospective sur Joan Mitchell. Riche de soixante-dix œuvres emblématiques des deux artistes, l’exposition offre au public un parcours rythmé par des correspondances thématiques et formelles.

Joan Mitchell est née en 1925, un an avant la mort de Claude Monet, et s’est installée à Vétheuil, près de Giverny, quarante ans après. Mitchell est affiliée dans les années 50 au mouvement de l’expressionnisme abstrait, alors que Monet est considéré à cette même période comme le précurseur de l’abstraction. Lorsqu’elle s’installe en 1968 dans une propriété proche de la maison qu’avait occupée Monet, la « correspondance » entre les deux artistes s’affermit. La commissaire de l’exposition, Suzanne Pagé, a instauré tout au long du parcours un dialogue entre les deux artistes, faisant émerger cette « correspondance ».

Ce qui frappe immédiatement le visiteur, c’est le goût pour les très grands formats qui caractérise les deux peintres.

Monet et Mitchell se sont imprégnés de ce même paysage des bords de Seine : Giverny et Vétheuil ; c’est là qu’ils ont nourri leur art, dans un rapport intimiste à la nature. Le paysage de Monet se circonscrit à son jardin, qu’il nomme « son plus beau chef-d’œuvre ». Il le crée par étapes, plante des fleurs, fait creuser un bassin comme étang que longent des saules, et où poussent nymphéas et plantes aquatiques. Dans la première salle de l’exposition, deux magnifiques toiles prêtées par le musée Marmottan Monet, Les agapanthes (1916-1919) et Nymphéas (1914-1917) se juxtaposent.

Mitchell quant à elle s’imprègne du paysage de Vétheuil aux étendues vallonnées, traversées par la Seine. Le diptyque Champ (1990), construit en miroir, retranscrit ce paysage qui inspire l’artiste depuis sa terrasse.

Pour définir leur démarche picturale, ils utilisent des termes analogues :  la « sensation » pour Monet et le « feeling » pour Mitchell. S’il s’agit plutôt de la persistance d’une sensation visuelle chez Monet, Mitchell projette sur la toile des émotions visuelles transformées par la mémoire. Dans les deux cas, la quête de la couleur est primordiale pour retranscrire leurs émotions éprouvées devant la nature. Tous deux partagent une sensibilité aiguë à la lumière et aux couleurs dont le jeu constitue le fondement de leur art.  

Dans un format monumental où dominent les tons de verts, jaunes et orange sur fond blanc, le visiteur découvre Un jardin pour Audrey(1975)qui fait écho aux Hémérocalles (1914-1917).

La gamme des bleus, verts et mauves de Row Row (1982) dialogue quant à elle avec celle des  Nymphéas (1916-1919) .

L’eau, et surtout son reflet, constitue également un sujet commun aux deux peintres. Claude Monet peint l’étang de Giverny, créant des « paysages d’eau et de reflets » où ciel et terre fusionnent en saturant l’espace. On admire dans la première salle de l’exposition une magnifique toile, Le bassin aux nymphéas (1917-1919), provenant d’une collection particulière.

La Seine est souvent convoquée dans les peintures de Mitchell, élément qui rappelle le lac Michigan de son enfance : « Je découvre que l’on peut même trouver une raison de vivre dans les profondeurs, les reflets dans l’eau », confie-t-elle en 1948 à Barney Scott. On retrouve ce jeu des reflets dans Quatuor II for Betsy Jolas (1976), inspiré par la musique de cette compositrice.


Au premier étage de l’exposition, le visiteur ne peut manquer la présence de deux ensembles exceptionnels. Pour la première fois en France, les trois panneaux du fabuleux triptyque de L’Agapanthe (1915 – 1926) de Claude Monet sont réunis. Ils appartiennent à trois musées américains qui les ont achetés entre 1956 et 1960, et sont donc toujours divisés. Ce triptyque, résultat de dix années de travail, mesure près de treize mètres. Monet considère cette œuvre comme « l’une de ses quatre meilleures séries ».

La Grande Vallée, cycle spectaculaire réalisé par Mitchell entre 1983 et 1984, se compose de vingt et un tableaux. Dans l’exposition Monet-Mitchell, la reconstitution exceptionnelle de dix peintures est, à ce jour, la plus importante depuis sa première présentation en 1984. C’est un des ensembles les plus importants de sa carrière, dans lequel la couleur se déploie sur toute la toile. Elle y célèbre un lieu imaginaire, à partir d’un récit de son amie Gisèle Barreau qu’elle se réapproprie. On y retrouve la gamme chromatique de l’artiste : le jaune du colza et le bleu cobalt, à l’image du monumental For a Little while (1983)

La visite se poursuit avec une rétrospective consacrée à Joan Mitchell, réunissant une cinquantaine d’œuvressur 1000 m². Il s’agit de la plus grande rétrospective de l’artiste depuis plus de trente ans.

Le visiteur parcourt de manière chronologique les grandes étapes de son œuvre. Un très beau tableau provenant d’une collection particulière, Sans titre (1953-1954), illustre ses premières abstractions peintes à New-York au début des années 50.

Mitchell réalise ensuite toute une série de toiles durant les années qu’elle passe entre les États-Unis et la France. Lors de son départ pour Paris, elle écrit : « Je pense qu’il serait plus facile de vivre une vie de peintre ici – le travail continu sans exposer pendant des années. » On peut lire The bridge (1956) comme un symbole de ces allers-retours très fréquents.

Mitchell trouve ensuite un atelier à Paris, rue Frémicourt, où elle s’installe en 1959. La peinture, en tant que matière, devient un sujet de son œuvre. Les couleurs qu’elle étale parfois au chiffon se chevauchent. Des explosions de touches et de traits témoignent de la rapidité de son travail au pinceau, à l’image de Mud Time (1960-1961).

C’est en 1967 que Mitchell s’installe à Vétheuil, période qui affirmera sa prédilection pour des polyptiques en très grands formats. L’immense triptyque Sans titre (1969) mesure plus de 260 m sur 468 m.

L’essentiel de l’exposition se consacre à cette période de plein épanouissement artistique. Si le paysage de Vétheuil nourrit le regard de l’artiste, c’est la nuit, dans son atelier, accompagnée de ses chiens, qu’elle retranscrit à travers la mémoire l’émotion ressentie durant son expérience du paysage. C’est ce qu’elle nomme « le feeling », « le sentiment que j’ai des choses ». On découvre une peinture caractérisée par sa recherche  de la couleur et de la lumière et son  rapport intime aux paysages : « Je porte mes paysages  avec moi ». Le titre de la toile My Landscape II, (1967) évoque ce rapport fusionnel aux paysages. À Vétheuil, sa maison entourée d’énormes tournesols ranime sa passion pour Van Gogh, avec lequel les œuvres de Mitchell, comme Two Sunflowers (1980), ne cesse de dialoguer tout au long de l’exposition : « Ils ont l’air si merveilleux quand ils sont jeunes, et ils sont si émouvants quand ils meurent. Je n’aime pas les champs de tournesols. Je les aime seuls, ou, bien sûr, peints par Van Gogh. » 

Joan Mitchell meurt à Paris le 30 octobre 1992.

Perrine Decker

Du 5 octobre 2022 au 27 février 2023

Fondation Louis Vuitton, 8 avenue du Mahatma Gandhi, Bois de Boulogne, 75116 Paris

Ouverture : Lundi, mercredi et jeudi de 11h à 20h – Vendredi de 11h à 21h – Samedi et dimanche de 10h à 20h

Réservation :

https://www.fondationlouisvuitton.fr/fr/billetterie