Illusions Perdues, Grandeur et Décadence d’un Poète de Province

Le 20 octobre 2021 sortait en salles l’adaptation tant attendue du sublime roman d’Honoré de Balzac, Illusions Perdues, par Xavier Giannoli.

Au casting, une succession de monuments du cinéma français, dont une Cécile de France bouleversante dans le rôle de Louise de Bargeton, une Jeanne Balibar glaçante dans celui de la maléfique Marquise d’Espard et Gérard Depardieu, d’une grande justesse en l’éditeur Dauriat ainsi que de belles étoiles montantes telles que la saisissante Salomé Dewaels, alias Coralie, un aussi comique qu’absurde Vincent Lacoste incarnant à la perfection le personnage de Lousteau et le grand Benjamin Voisin, tenant poignant du rôle-titre de Lucien Chardon.

L’histoire est celle de l’ascension et de la décadence d’un beau poète de province nommé Lucien Chardon, désireux de s’élever dans la société par le monde insidieux de la littérature, au coeur du Paris du début du 19e siècle. Cette ascension passe simultanément par deux illusions chères à l’esprit de Lucien : celle du recouvrement du nom de famille maternel De Rubempré, dernier vestige de sa noblesse dans le contexte tendu d’une France fragmentée par la restauration et son succès en tant poète, à Paris. Sans conviction propre, Lucien se laisse porter au gré des occasions et de ses rêves de grandeur, incarnés tantôt dans la gent féminine, tantôt dans les opportunités journalistiques, afin de parvenir et de briller dans la société. Le milieu du « Petit Journal » parisien, un type de presse apparu au 19e siècle qui se caractérise par son esprit satyrique, léger et critique, y est dépeint sous les traits de l’amoralité et de la trivialité, publiant des articles mensongers soumis aux accords de pouvoir. Cette critique du journalisme nous permet de partir à la découverte de personnages ubuesques tels que Lousteau (Vincent Lacoste), un journaliste indécent exerçant son art en fonction de la nécessité de gagner de l’argent ou encore l’éditeur Dauriat (Gérard Depardieu), plus marchand de tapis que de bonne littérature…

Force est de souligner à quel point les enjeux du livre sont bien retranscrits dans l’adaptation cinématographique de Xavier Giannoli. En effet, les choix du réalisateur ont cette chose rare qu’ils ne dénaturent pas l’essence de l’œuvre tout en lui apportant une touche de modernité et une subtile résonance actuelle. En effet, cette peinture du « Petit Journal », peut nous rapporter aux polémiques contemporaines liées à la surmédiatisation, aux dérives des réseaux sociaux ou encore aux fakes news. De plus, cette lecture de l’œuvre nous permet d’observer des nuances dans le flot de l’intrigue et chez les personnages, qui paraissent tous particulièrement cruels chez Balzac. Ce sont notamment la Comtesse Louise de Bargeton – alias Cécile de France et le journaliste Nathan, auquel Xavier Dolan prête ses traits, qui apparaissent plus humains et affectés par le sort de Lucien. Cette nouvelle dimension permet de transmettre davantage de sentiments partagés au spectateur et de convoquer son empathie, lui qui était autrefois un lecteur indigné du sadisme de cette société.

Par ailleurs, les grands enjeux du roman sont très bien incarnés dans le film.

Le QG du journal libéral est un capharnaüm géant où les canards se promènent, le Champage coule à flot et les décisions sont prises par l’action d’un singe, symbole de l’irrévérence et de la malice avec laquelle le milieu du petit journal sévit dans le tout-Paris. Cette exubérance s’inscrit en opposition parfaite avec la noblesse, incarnée dans toute la rigidité, l’exigence et la violence passive qu’elle revêt dans la narration originelle.

La scène profanée du baptême du journaliste, qu’Honoré De Balzac composait dans toute sa trivialité, est particulièrement bien retranscrite à l’écran. Strass, or et luxuriance y redoublent de « bling bling » pour donner à voir l’ascension de Lucien dans toute sa superficialité et prévoir le caractère éphémère de sa fortune.

J’accorderai en outre une mention très spéciale à la performance sensible de Salomé Dewaels dans le rôle de Coralie, amoureuse dévouée et comédienne transcendante sur les planches (dans la narration) tout autant qu’à l’écran. 

La mise en scène, l’interprétation des acteurs, les costumes d’époque ou l’image tamisée, reflet de  la sournoiserie ambiante du milieu dépeint, tout concoure à faire l’incarnation solaire, passionnelle et tragique de cet épisode phare de La Comédie Humaine.

Pour les novices, cette adaptation est une superbe plongée dans l’univers balzacien. Et vous l’aurez compris, les férus de Balzac auront de quoi nourrir leur réflexion.

De quoi nous inviter à lire ou à relire ce chef d’œuvre de la littérature.

En résumé, ce film est probablement (et selon moi) l’un des plus intéressants et réussis de l’année !

À voir et revoir…

Valentine Pierre

Illusions Perdues

Un film de Xavier Giannoli

Casting : Benjamin Voisin, Salomé Dewaels, Cécile de France, Vincent Lacoste, Xavier Dolan, Jeanne Balibar, Gérard Depardieu, André Marcon…

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