Dans le Parc de la Fondation Pierre Gianadda se dresse, depuis de nombreuses années, une sculpture de Jean Dubuffet (Éléments d’architecture contorsionniste V) :
Avec l’exposition hiver consacrée à Jean Dubuffet (1901-1985), la Fondation présente une sélection exceptionnelle d’œuvres majeures de l’artiste – soit une centaine d’œuvres !
Le parcours de celle-ci est chronologique. Il permet d’embrasser la carrière de ce grand défenseur de l’art brut.
Artiste prolifique, peintre réfractaire aux conventions, tant sociales que picturales, Jean Dubuffet érigea le non-savoir en principe pour créer une œuvre singulière, rythmée par des séries successives, dont les plus significatives sont exposées dans cette rétrospective. Les « premiers travaux » que Dubuffet répertorie comme tels, ceux réalisés à partir de 1942, témoignent de l’intérêt du peintre pour les dessins d’enfant, les graffitis et l’art brut, terme qu’il forge à partir de 1945 pour désigner les productions artistiques de personnes évoluant hors de tout contexte culturel. Il les étudiera et les collectionnera assidûment, cherchant lui- même à atteindre ce déconditionnement, afin de changer la perspective proposée, le regard porté sur les choses, sur le monde.
C’est aussi à travers des écrits fondateurs qu’il exposera ses « positions anticulturelles », parallèlement à sa carrière de peintre, préférant à la fréquentation des artistes celle des écrivains. Le portrait de l’un d’entre eux, Dhôtel nuancé d’abricot (1947), est emblématique de ce renoncement à tout ordre esthétique : frontalité, maladresse du dessin, liberté de la couleur et recours à des matériaux inusités le caractérisent.
La série des « Corps de Dames », dont l’éblouissant Métafizyx (1950) permettra à l’artiste de franchir un pas supplémentaire dans la mise en péril de la figure au profit de la peinture, devenue sujet de l’œuvre.
Toujours en quête d’inventions picturales, Dubuffet s’éloigne dans les années 1950 de la figure pour approfondir ses recherches sur la matière. Les œuvres se présentent alors, telle la « Texturologie » Sérénité profuse (1957), en visions rapprochées du sol, compris comme un tissu continu et vibrant. Ces « Célébrations du sol », paysages de cailloux, de terre, de sable, explorent les turbulences telluriques et se prolongent dans la série des « Matériologies », telle Messe de Terre (1959-1960), simulant la substance de terrains accidenté
Les « Phénomènes », ensemble majeur de lithographies réalisées entre 1958 et 1962 seront tout à la fois l’apothéose et l’aboutissement de ces recherches. L’audace formelle de Dubuffet le conduit alors à faire renaître la figure, au début des années 1960, avec une nouvelle série, « Paris Circus », illustrée par la joyeuse Rue passagère, 1961, qui exprime le grouillement bariolé de la ville retrouvée.
Mais rapidement, les alvéoles colorées et tremblotantes se précisent, comme dans La Gigue irlandaise (1961), pour inaugurer un vaste cycle, « L’Hourloupe », marquant la mise en place d’un nouveau langage, fait de cellules tantôt pleines, tantôt hachurées, au spectre coloré restreint (noir, blanc, rouge, bleu).
« L’Hourloupe » occupera d’ailleurs Dubuffet pendant douze ans, de 1962 à 1974 : ce vocabulaire s’appliquera tant aux travaux en deux dimensions qu’à l’exploration du volume, comme dans cette étonnante sculpture Figure votive (1969) et de l’architecture, jusqu’à l’élaboration d’un spectacle d’un genre nouveau, Coucou Bazar. Trois éléments parmi les praticables et personnages voués à s’animer lentement tout au long de ce spectacle, Site agité (1973), Papa gymnastique, et Le Veilleur, (1972) donnent par leur présence singulière une idée de cette entreprise sans équivalent
Au-delà des titres, les œuvres parlent d’elles-mêmes, offrant à notre imaginaire une plongée dans un univers singulier et profond… un retour à nos origines ?
Cette magnifique exposition est organisée en partenariat avec le Musée national d’art moderne-Centre Pompidou, Paris
Commissaire de l’exposition : Sophie Duplaix, Conservatrice en chef des Collections contemporaines Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle Centre Pompidou
Jusqu’au 6 juin 2022
Fondation Pierre Gianadda, Rue du Forum, 59 1920 Martigny (Suisse)
Ouvert tous les jours de 10h à 19h
photos : Véronique Spahis