“Comment rendre intéressant le drame à trois ou quatre mille personnages que présente une Société ?” se demandait Balzac. A cette épineuse question, le grand romancier répondit en nous offrant les plus belles pages de la littérature française. Tout en ayant le même objectif que Balzac, Arroyo a délaissé la plume pour se tourner plutôt vers les ciseaux et la colle. Cet artiste n’en partageait pas moins l’ambition balzacienne : montrer que tous les hommes ne sont que les acteurs du drame qui se joue sur la scène sociale.
La Maison de Balzac présente jusqu’au 10 mai 2020 une nouvelle exposition sur “La Comédie humaine, Balzac par Eduardo Arroyo”. L’artiste espagnol avait formé le projet d’illustrer La Comédie humaine dans son intégralité, ce qui représente pas moins de 95 romans ! Peut-être y serait-il parvenu s’il n’était pas disparu en octobre 2018. L’exposition rend hommage à ce grand peintre contestataire, figure de proue du mouvement artistique né dans l’Espagne des années 1960 : la “figuration narrative”.
Pour se rendre à l’exposition, le visiteur est invité à traverser un paisible jardin pour entrer dans la maisonnette aux volets bleus, vestige de cette époque où Passy était encore un petit village de banlieue. C’est dans ce havre de paix que Balzac travailla pendant plus de sept ans à ses romans.
Il faut enfin descendre au sous-sol ; on déambule alors dans une galerie de portraits correspondant aux personnages balzaciens. Pour réaliser ces portraits, Arroyo a minutieusement découpé puis assemblé des morceaux de photos anciennes, photos d’un Paris en noir et blanc dont le charme le fascinait. L’aspect lisse et glacé du papier découpé rappelle les marqueteries de bois verni. Les tons gris et ocre des œuvres sont mis en valeur par les murs peints d’un mauve profond. En dévisageant chaque personnage, on est frappé par l’intensité des regards alors même que les portraits sont constitués de formes géométriques aux contours simples.
A côté d’un portrait, on peut lire imprimée sur le mur la description qu’en avait fait Balzac avant qu’Arroyo ne le représente. Les amoureux de la littérature seront heureux de goûter aux phrases admirablement bien ciselées du romancier. Chez Balzac, l’apparence physique des personnages reflète toujours leur caractère et leur appartenance sociale. Les descriptions ne se limitent donc pas à une collection de détails picturaux ; elles offrent de riches analyses donnant à voir la société parisienne dans ces années 1830.
Arroyo n’a jamais prétendu respecter les détails précisés par Balzac quant à l’apparence physique de ses personnages. Le peintre ne voulait pas simplement illustrer, mais transposer, ce qui suppose surtout d’être fidèle aux impressions que peut produire une description sur le lecteur. Par ailleurs, Arroyo a déposé dans chacune de ses œuvres une part de lui-même qu’il n’avait pas nécessairement retrouvée chez Balzac. Le matériau photographique qu’il utilise lui permet de plonger dans ses propres souvenirs. C’est la mosaïque de tous ces souvenirs personnels qui constitue finalement un visage, visage qui est à la fois celui du personnage de roman, celui de Balzac, et celui d’Arroyo lui-même.
Arroyo était tout autant fasciné par les personnages de Balzac que par le visage de ce romancier. Il le représente partout, en expérimentant des techniques variées alliant matériaux et textures nouvelles. Il s’est aussi intéressé aux endroits où vécut et travailla ce grand écrivain : on peut donc admirer des tableaux composites représentant l’intérieur d’une habitation tel que l’imagine Arroyo. Dessins de mobilier ancien, collages de papier peints : ces tableaux, eux aussi, nous parlent moins d’un lieu que du caractère de Balzac comme le voyait Eduardo Arroyo.
Savéria Costantini
Crédit photo : Mercedes Cosano, Adrian Vazquez
Photo in situ : Savéria Costantini
Du 6 février au 10 mai 2020
La Comédie humaine : Balzac par Eduardo Arroyo
Maison de Balzac
47 rue Raynouard
75016 Paris
Du mardi au dimanche de 10h à 18h00
(Pour voir l’article sur La Maison de Balzac : http://itartbag.com/la-maison-de-balzac/)