Avec Corto Maltese, marin libertaire et désabusé qui a sillonné toutes les mers du globe, Hugo Pratt a créé l’un des héros les plus emblématiques du 9ème art. Traduit dans la plupart des langues du globe, Corto ne semblait pas pouvoir survivre à son créateur, malheureusement disparu en 1995. Mais vingt ans plus tard, Casterman, en accord avec la famille et la volonté exprimée par Pratt lui-même avant de mourir, confiait à Juan Dias Canales (dessin) et à Rubén Pellejero (scénario) le soin de réanimer notre marin.
Après deux tomes plutôt réussis et bien accueillis (Sous le soleil de minuit en 2015 et Equatoria en 2017) mais qui évitaient la comparaison trop directe avec le maître en emmenant Corto sur de nouvelles terres (l’Amérique du Nord et l’Afrique équatoriale), nos deux compères se lancent un tout autre défi avec leur troisième opus, Le Jour de Tarowean.
Il s’agit ici, en effet, de raconter l’histoire de ce qui précède La ballade de la mer salée, le premier tome de la saga d’Hugo Pratt. Ce dernier débute en effet avec Corto Maltese enchaîné comme le Christ sur une croix qui dérive sur l’océan Pacifique. Or, Hugo Pratt n’a jamais véritablement expliqué ce qui a conduit son héros dans cette bien fâcheuse posture, pas plus que sur l’étrange relation qui le lie à Raspoutine, personnage récurrent de la série. Le défi est bien relevé, les deux auteurs restant parfaitement dans l’esprit d’Hugo Pratt.
Sur fond de colonies, l’histoire est poétique, magique, critique et irrévérencieuse. Raspoutine égal à lui-même, lance à Corto a cette remarque : « Tu as toujours laissé largement à désirer comme pirate… Que font les anglais, les allemands, les français ou les hollandais, sinon voler, partout dans le monde ? Pourquoi aurions-nous moins de droits qu’eux ? ».
Complétement d’actualité, ce 15ème tome dépeint l’appât du gain, du pouvoir, avec un zeste de religion, de sociétés secrètes, de tribus chasseuses de tête et de fanatisme. Cynique l’un des personnages assène : « Quelle importance a une poignée d’indigènes quand le progrès et la civilisation sont en jeu ? ».
Pas d’aventures de Corto Maltese sans la présence de femmes, parfois belles et mystérieuses comme la sirène, ou machiavéliques comme la femme du chef, mais les personnages ne sont jamais manichéens. Corto Maltese a toujours ses pensées singulières comme : « devancer le destin plutôt que le subir. ». Bref, ce dernier album est sublime, esthétique : un vrai régal.
Barbara Ates Villaudy
Le jour de Tarowean – Tome 15 – Corto Maltese
Juan Diaz Canales et Rubén Pellejero d’après l’œuvre d’Hugo Pratt
Edition Casterman – 82 pages – 23.1 x 30.6 cm – 16 €
Ebook – 11,99 €