Le Musée Picasso célèbre la fille du Maître et la famille

A l’occasion de la nouvelle dation de la famille Widmaier-Ruiz-Picasso, célébrant l’entrée dans les collections nationales de neuf œuvres du génie de Malaga, l’Hôtel Salé accueille jusqu’au 31 décembre 2022, une magnifique exposition articulée en deux volets : « Nouveaux chefs-d’œuvre. La dation Maya Ruiz-Picasso » et « Maya Ruiz-Picasso, fille de Pablo. »

Parmi les neuf nouvelles œuvres, le visiteur a la chance de découvrir le portrait de Don José Ruiz, père de Picasso. Ce portrait est l’un des motifs majeurs de la première création de l’artiste, qui couvre la période 1894-1901.

L’étude pour la joueuse de mandoline (1932), autre tableau rare du peintre. Il s’inscrit dans la série des peintures sur le thème de la femme au fauteuil, au début de l’année 1932, riche d’une dimension hautement érotique. Comme beaucoup des toiles du maîtres à cette époque, la sensation d’inachevée se dégage de la peinture, propre à la volonté de Picasso qui ne disait-il pas : « Terminer une œuvre ? Achever un tableau ? Quelle bêtise ! » Pour le Maître en effet, achever équivaut à tuer l’œuvre, ce qui pour un créateur constituerait un comble.

Dans la continuité des femmes au fauteuil, cette dation nous permet de découvrir Enfant à la sucette assis sur une chaise (1938). On découvre une fois de plus la palette monochrome que l’on retrouvait dans la toile précédente, avec ces sensations d’enfermement, à mettre en corrélation avec la période internationale belliqueuse. En effet, cette œuvre a été peinte un an après Guernica, événement parmi les plus tragiques de la guerre d’Espagne, ayant détruits des milliers de familles.

Dans cette série quasi familiale, Le portrait d’Émilie Marguerite Walter, (dite « Mémé ») (1939), mère suédoise de Marie-Thérèse, fait écho à la fois à une image réconfortante de douceur familiale et de rigueur. Les cheveux gris, la robe noire, le col blanc et les épaisses lunettes, en sont la parfaite illustration. Cette femme aura joué un rôle non négligeable dans l’éducation de la petite Maya durant ses premières années.

L’enfance de Maya, marquée par les conflits (Guerre d’Espagne et Seconde Guerre Mondiale), et les restrictions, est l’occasion pour son père de lui confectionner des jouets de fortune, à l’image de silhouettes découpées dans du papier ou de poupées articulées, faites de matériaux de récupération, ou la fameuse Vénus du Gaz (1945). Cette sculpture constituée d’un simple brûleur de fourneau dressé, n’est pas sans faire référence à l’intérêt de Picasso pour les objets du quotidien qui remonte au début des années 1910. On peut citer ici Le verre d’absinthe (1914) ou la fameuse Tête de taureau (1942). A travers les propriétés esthétiques de ce réchaud à gaz, dressée à la verticale, Picasso transforme cet objet en une sorte de déesse de la fécondité, référence à la Vénus de Lespugue, qui fascine le peintre.

Cette exposition nous permet aussi de découvrir Picasso sous le prisme d’une relation pleine de tendresse entre un père et sa fille, fruit de sa passion avec Marie-Thérèse Walter, débutée en 1927. En effet, dès la naissance de Maya en 1935, le Maître a peint de nombreux portraits de sa fille et des scènes d’intimité familiale, mais aussi des portraits d’enfants, présentés pour la première fois au public.

Parmi eux, El Bobo (1959), portrait dans lequel Picasso s’approprie la figure du nain, chère à Vélasquez et celle de l’enfant des rues propre à Murillo. Peint au Château de Vauvenargues, au pied de la montagne Sainte-Victoire, cette toile, plus qu’un tableau pour Pablo et Jacqueline Rocque, est un membre de la famille, si bien que Picasso le salue comme un ami, à chaque fois qu’ils se rencontrent, lorsque Jacqueline le surnomme affectueusement « Tonto », « le petit sot. » Ce petit bouffon effronté, invite le spectateur à partager son repas avec une bouteille de vin à la main… Bacchus, si cher à Pablo, n’est pas si loin…

Cette toile ne constitue pas le seul portrait de la collection. En effet, La Tête d’homme, (1971), l’un des derniers tableaux peints par le maître, qui mourra deux ans plus tard, fait partie d’une série de toiles exécutées à Mougins, durant l’été 1971. Ces têtes d’hommes, à l’aspect religieux, ne sont pas sans rappeler des scènes sacrées, dont certaines servirent à la couverture du catalogue de l’exposition Picasso (1970-1972). L’aspect de La Tête d’homme, avec sa barbe, ses cheveux longs, son regard pénétrant, évoquent la représentation du Christ, mais peut aussi être interprétée comme un dernier hommage rendu par Picasso à son Père…

Une fois de plus, le Musée national Picasso, par cette exposition exceptionnelle, rend hommage au maître de Malaga, à travers un prisme méconnu : celle du père sous toutes ses formes. Don Ruiz, père de Picasso ; Pablo, père de Maya et le Christ, père des hommes. Cet aspect sacré n’est pas sans rendre hommage au génie créateur divin du Maître du Cubisme. Une exposition à ne pas manquer !

Nicolas Callegari

Jusqu’au 31 décembre 2022

Musée national Picasso, 5 rue de Thorigny, 75003 Paris

Du mardi au vendredi, de 10h30 à 18h – Samedis, dimanches et Jours fériés (sauf les lundis), de 9h30 à 18h00.