Le poids des mots : Le roi des cons
Difficile de parler d’égalité lorsque la langue française s’emploie à privilégier le masculin sur le féminin. Précisons que la règle d’accord dite « le masculin l’emporte » ne date que du XVIe siècle. Auparavant, c’était la règle latine de proximité qui prévalait. Avec son livre « le roi des cons » Florence Montreynaud, historienne et linguiste porte le débat, sur les mots du quotidien, les habitudes de langage qui nous enferment dans des préjugés sexistes, qui poursuivent l’héritage d’une société française dominée par le masculin.
Au fil des pages, on constate que les expressions sexistes sont utilisées quotidiennement sans que l’on en prenne conscience, tant elles font partie de nos tics de langage. Ainsi au lieu de nom de jeune fille, il serait plus judicieux d’écrire nom de naissance.
Certaines tournures sont plus perverses comme « elle s’est fait violer ». Le verbe faire signifie que le sujet est acteur, exemple « elle s’est fait prendre en photo », sous-entend que le sujet était volontaire. En revanche, « elle a été prise en photo », suggère qu’elle n’était pas active dans la démarche. Insidieusement, elle s’est fait violer, insinue que la personne pourrait avoir un rôle actif. Voilà pourquoi il faut écrire : elle a été violée.
Même démonstration avec « l’abus sexuel d’un enfant » qui provient de la traduction anglaise « abuse ». Un abus de chocolat, signifie qu’on en a trop consommé, mais avant le trop, il existe une position modérée où l’on peut manger du chocolat sans en abuser. Seulement avec un enfant, il n’existe pas d’attitude sexuelle modérée. La sexualité avec un enfant est tout simplement proscrite, il n’y a pas de degré faible, modéré ou abusif. De fait, le seul terme correct est « sévices sexuels ». Florence décortique de nombreuses expressions que nous utilisons tous les jours comme « perdre sa virginité », « attendre un enfant », « films pour adultes », « l’instinct maternel », « fraternité entre femmes », «drague lourde »… et nous démontre de quelle manière ces mots continuent de nous emprisonner dans des rôles.
On ne vous livrera pas les bonnes tournures, il vous faudra la découvrir dans ce livre rempli, d’humour, de réflexions pertinentes, d’évidences.
Florence trace l’historique linguistique des us et coutumes de langage, en les illustrant de belles citations. Elle nous rappelle que l’origine du mot con, n’est pas abruti, mais le sexe d’une femme. Ce n’est que beaucoup plus tard, qu’il a été utilisé comme injure. Finalement, être traité de con s’applique à un crétin fini, y aurait-il une analogie avec notre sexe?. Alors, qu’on traitait un homme de con Paul Léautaud écrivain pas particulièrement féministe, loin de là, rétorquait : « Pourquoi le qualifier ainsi ? Il n’en a ni l’agrément ni la profondeur ».
Souvent, le mot « féminisme » est remplacé par « guerre des sexes », pourtant quand on parle des ouvriers on n’écrit pas guerre, mais revendications. Elle rappelle que les féministes sont souvent traitées de « mal baisées, d’hystériques… » or lorsque des femmes militent pour Amnesty International ou les petites sœurs des pauvres, elles ne reçoivent pas ce type d’injure.
Après cette superbe démonstration sur le pouvoir des mots, Florence conclut « changer le monde prendra un certain temps, mais changer les mots c’est possible tout de suite. »
Barbara Ates Villaudy
Le roi des cons
Florence Montreynaud
Edition Le Robert,
160 pages – 12,90 €