Lettre d’une inconnue : une pièce en rouge et blanc
La pièce adaptée de Stefan Zweig revient sur la passion dévorante d’une jeune femme pour le père de son enfant disparu. C’est un double drame, car en retour, l’homme qu’elle a tant aimé la voit comme une inconnue. La pièce, montée par La Compagnie Strapathella, qui a vu le jour en 2004, est le fruit du travail de Laetitia Lebacq, metteuse en scène et comédienne seule sur scène, Sandra Pinto Régal, chorégraphe, et Johanna Legrand, créatrice lumière.
Plongée dans la passion d’une femme amoureuse
Des pas de danse, un corps à l’agonie, des flammes, du sang, des cris. C’est la symbolique choisie par Laetitia Lebacq pour l’interprétation du roman épistolaire de Stefan Zweig. Avec un jeu de scène aussi bouleversant qu’émouvant, elle nous plonge dans une psychologie du désir dont les énigmes nous questionnent.
Autre que celui des mots, c’est le long monologue du corps qui s’exprime à travers le jeu de la comédienne. En symboles, du rouge et du blanc parsèment le décor. D’un côté, la blancheur candide d’une jeune femme, la pâleur de l’angoisse à la vue de son fils inanimé. De l’autre, un amour rougeoyant pour le père de son enfant, et le rouge sang de sa colère brulante.
Une à une, roses blanches, feuilles blanches, femme pâle se décomposent sur la scène dans des accès de rage, comme si l’amour incarné se débattait de toutes ses forces contre son maître. Pour renforcer cette impression, Laetitia Lebacq est (presque) seule sur scène : elle a choisi de « laisser le personnage avec son fantôme ».
Un texte inspiré par la psychanalyse freudienne
Le texte du grand auteur aborde le sujet de la déception amoureuse, rendue audible par la phrase « Je t’attendais, je t’attendais toujours, comme pendant toute ma destinée, j’ai attendu devant ta vie qui m’étais fermée ». Mais, au delà du tragique, c’est une œuvre où l’amour est associé à la folie, la passion à la pathologie. Les scènes de crises ne sont pas sans rappeler le travail mené par Charcot et Freud sur l’hystérie, dont Stefan Zweig était contemporain. Un fauteuil, rouge chair, est fracassé au sol. Un drap blanc, étiré, est maculé de larmes et de sang. Ce fauteuil est son corps. Ce voile est le symbole de la résistance psychique contre les souvenirs insupportables, finalement levé par la parole.
Hommage à une grande performance
Il faut reconnaître à Laetitia Lebacq une performance de haut niveau, qui a su adapter, pour le théâtre, un roman épistolaire en alliant danse, poésie, musique et vidéo. Elle passe, avec véhémence, des cris puissants aux larmes réelles, arguments d’une grande actrice. Tantôt enfantine, tantôt adulte, récitant des textes dont la puissance fait écho à ceux qui ont déjà aimé, Laetitia Lebacq est parvenue à dévoiler sans honte, avec ardeur, le rite initiatique d’une jeune fille devenue femme.
Jusqu’au 27 janvier 2019,
La Folie Théâtre,
6 Rue de la Folie Méricourt,
75011, Paris
Téléphone : 01 43 55 14 80
Vladimir Couprie