Trois sœurs se retrouvent, contraintes et forcées, par la mort imminente de leur mère. L’absence de cette dernière, pas encore totalement actée mais symbolique de ce que son départ entrainera, les poussent à engager des discussions qu’elles se refusaient d’avoir jusqu’alors. Les secrets de famille comme les jalousies refont surface et plus ou moins consciemment, ce décès prochain les interroge tant sur leur passé et leurs choix que sur leur capacité à maintenir un semblant de sororité alors que le seul être susceptible de les rapprocher est en passe de disparaitre. Rien ne leur sera facile. L’angoisse, les troubles personnels, les vies déliées viennent se fracasser les uns contre les autres dans une chambre d’hôtel. Elles ne peuvent faire autrement. Mais comment se parler vraiment quand les mots dépassent la pensée, quand les querelles et plus encore la peur d’aborder les sujets sensibles engendrent des propos sans doute pas totalement fidèles aux pensées et émotions qui les tenaillent ?
Cette pièce joue tout autant sur les silences pesants que sur les petites phrases assassines. Les doutes, les remords et les regrets, les vieilles rancunes constituent autant d’obstacles à des âmes et à des corps qui se refusent à la tendresse, au rapprochement, au moindre fragment de vie commune. L’ambiance est pesante, les lumières craintives. L’amour ne se dira pas ou si peu puisqu’il est si commode de se tourner le dos. Les trois comédiennes brillent de contenance, faisant les cents pas pour s’éviter, se frôler sans parvenir à s’atteindre.
Trouver les mots ou plutôt la force de les prononcer, là réside l’enjeu. Et pourtant, dans cette mise en scène subtile où les chairs vacillent telles des flammes fragiles que la mort de leur mère pourrait venir souffler. La sobriété dans la direction d’acteurs permet de donner un poids écrasant à un texte où chaque dialogue arrache des lambeaux au cœur de l’autre. La scène à laquelle nous assistons relève d’une intimité que nous ne devrions pas connaître. Le malaise voyeuriste nous tendant aussi un miroir où notre psychologie peine à dessiner une image nette et salvatrice. « Rotterdam, la nuit », un spectacle acide qui vous poursuit après que les voix se soient tues, jusque sur les pavés humides, une nuit froide de votre esprit.
Le pitch :
Dans un hôtel de Rotterdam, trois sœurs sont réunies au chevet de leur mère. Elles voudraient se rapprocher mais n’y arrivent pas. Elles voudraient éviter la rupture sans y parvenir. Au cœur de ce chaos âpre et silencieux vont pourtant affleurer les immortels souvenirs d’une enfance passée les unes avec les autres.
Un huis-clos familial où les non-dits et les rancunes déjouent l’occasion d’une mise au point.
Dépendances et Rotterdam la nuit sont deux pièces aux résonances communes. Des huis-clos familiaux où l’on pénètre comme sur un ring. Car la famille, c’est aussi des règles qui volent en éclat, une pudeur que l’on viole, une chaleur qui peut se glacer, une proximité qui peut s’étirer jusqu’au point de rupture.
Les personnages de ces pièces sont en perpétuelle tentative avortée de dire leur amour, et en perpétuel échec et repli dans des zones de contrôle de soi par le rire, le masochisme, la boulimie, l’aquoibonisme ; ces territoires où la langue se fait moins évidente, et la prise de parole moins sûre.
Comme dans une arène où ce qu’il y a de plus anodin ou de plus dramatique entre frères ou entre sœurs coexiste ; ils se jaugent, se rapprochent, s’entrechoquent et s’entremêlent dans une joute répétée, jusqu’à l’épuisement.
David Fargier
Rotterdam la nuit
Auteur : Charif Ghattas – Mise en scène : Charif Ghattas – Avec : Elisabeth Bouchaud, Coralie Emilion-Languille et Pauline Ziadé
Jusqu’au 17 octobre 2021, les mercredis, vendredis et dimanches
Théâtre La Reine Blanche, 2 bis passage Ruelle, 75018 Paris