Vers un regard et une pensée en lévitation
Super Terram est une exposition composée d’oeuvres d’artistes originaires de différents pays tels l’Espagne, la France, la Grèce, Israël, l’Italie et les États-Unis, soutenue par La Fondation Desperados pour l’Art Urbain.
Quelle jeunesse ! Quelle volonté ! Quelle énergie !
Ces artistes apparaissent par leurs innovations comme des artistes se situant d’eux-mêmes – volontairement – du côté d’un « Salon des Refusés ». Refusant les refus temps, se refusant à une société qui les emporte malgré eux : ils manifestent l’heureuse et joyeuse insolence de la certitude de la jeunesse. Ils interrogent le monde d’aujourd’hui et proposent des « ouvertures » profondes, réfléchies et savantes en guise d’hypothèses, de réponses contemporaines affûtées et aiguisées. Ils sont jeunes, ils sont intelligents et pour eux il ne fait aucun doute qu’ils travaillent à une sorte de révolution : celle du regard, des rapports intersubjectifs, des relations entre le corps humain et le corps social, entre un être vivant se situant et une urbanisation figée l’entourant. Ils pensent l’image et sa force intrinsèque, sa pulsion profonde. « L’Arte è una cosa mentale » écrivait Léonard de Vinci, il est ici re-visuel. Revisualisé conceptuellement, techniquement, technologiquement et intimement.
Ces cartels de plasticiens œuvrent à leur façon. Par des approches, pourrait-on dire borderline, oscillants entre la scène « underground » et la maîtrise d’un savoir scientifique, la pratique et l’artistique de très bons niveaux, ils témoignent d’une acquisition de consciences et de démarches pointues.
Par une scénographie osée, le sable est partout présent au sol comme l’énonciation d’une poésie sous nos pieds qui annonce une vision paysagère et écologique pacifique et posée.
Sous les pavés il y avait la plage, ici, sous ce sable doré nous attend le rêve. Ce rêve nous tend la main et rejoint le regard du spectateur. Par une évocation indirecte de la présence à la fois de la mer, de souvenirs d’enfance, de l’univers infiniment petit et infiniment grand, ce sable rappelle celui de l’origine, de la naissance, celui où s’enfouissent les pontes …
SUPER TERRAM s’expose dans un lieu où le clair-obscur, la pénombre, dominent. Cette mise en scène n’est pas sans rappeler celle des expositions de Salvador Dali et de Turner présentées autrefois dans une atmosphère et une ambiance sombre touchant au noir et poussant au maximum l’acuité de nos yeux. Il y a autour de nous comme un sfumato opaque…, le spectateur s’y promène en marchant sur des grains colorés comme pour s’y re-vivre intérieurement dans une pénombre intrigante. Le but est-il de soumettre notre pensée au doute dans un espace où notre corps reste en contact avec un sol devenu irrégulier, instable et mouvant, inhabituel ?
Pour la faire retomber à l’origine, à notre origine, au lieu de naissance de soi et de notre premier mot, au lieu de naissance d’un nouveau monde et d’une autre pensée visuelle … Cette ambition fait naître en nous une forme de contestation vécue par ses artistes avec délectation et joie. Satisfaction.
Le commissaire de l’exposition, Gaël Lefeuvre, nous précise : « Je défends un art contextuel, qu’il soit urbain ou rural. Les artistes avec lesquels je travaille sont des reporters chacun à leur façon : ils s’intéressent aux autres … À l’exception du Collectif CELA ils ont tous déjà plus ou moins travaillé ensemble… L’idée est de changer d’atmosphère selon les espaces. Nous avons la volonté de théâtraliser l’espace d’exposition par la lumière, de casser les angles du bâtiment, d’effacer les plafonds pour mieux mettre en valeur la terre et les installations… C’est une manière de défendre une génération qui noue un vrai dialogue avec l’environnement urbain ou rural… Il est indéniable que SUPER TERRAM crée une ambiance tamisée et sensorielle. L’odorat, le toucher, la vue, l’ouïe sont sollicités… Elle se veut plutôt une interrogation sur un phénomène que l’on vit tous : le fait d’être pris par le système, noyé dans un flux d’informations et de produits, au point d’oublier parfois que la vie est plus simple que ça… ».
Comme le dit Stéphanie Lemoine, auteure « Il est temps d’atterrir. Ne craignons pas la dureté du sol, car il est dans la nature des choses d’osciller de rien à tout, et, de tout à rien. La fin de notre monde et le commencement d’un autre, que des mains vigoureuses bâtiront sans relâche, jusqu’à épuisement. »
Du latin : Super, « sur, au-dessus de » et Terram « Terre » signifiant aussi « hors-sol, déconnecté ». Cette exhibition traite de la question de « l’allégorie de nos vies contemporaines artificielles, déconnectées du vivant ».
L’exposition est située sur trois niveaux.
Au rez-de-chaussée, nous trouvons : CELA collectif d’artistes pluridisciplinairescomposé entre autres de Clément Leveau et Luce Terrasson interroge par une installation et une performance colorée le passage de l’intime et du sensible au corps de l’artiste et du spectateur ; la perception du souvenir, des choses appropriées par soi-même ; l’uniformisation de l’imaginaire par les nouveaux procédés de divulgation. Par deux autres œuvres CELA questionne les rapports entre la nature et l’artifice-artificiel, « l’automatisation déshumanisée des systèmes de culture, dans un déploiement excessif d’énergie superflue ». Dans leur dernière œuvre « Le chant des sirènes », 2023, nous sommes dans un environnement de poésie sonore pour un rêve d’éternité « c’est d’un simple flux électrique que naît le chant ». Il s’agit d’une installation ou des amplificateurs, des haut-parleurs, des plaques, des micros, des filtres s’ouvrent et se ferment permettant des fréquences de sons qui varient et font vibrer des plaques de métal obtenant un effet Larsen contenu et maîtrisé par l’artiste et assistant Sylvain Pelier « Le signal électrique s’empare d’une aura spirituelle en nous invitant à méditer, hypnotisé.e.s par le chant diphonique qui en émane ».
Amir Roti est issu d’une famille de sculpteur marbrier. C’est un amoureux de la pierre, un physicien par nature et réflexion ; il interroge la perception de la matière dans un monde et un univers en mouvement constant. Il questionne cette perception visuelle et formelle de la matière en apparence immobile, incluse dans notre environnement où tout reste en mouvement malgré une apparence de fixité. L’intra-matière est vivante, la pierre est donc vivante, syllogisme fondé sur les électrons qui la composent et qui s’agitent en un mouvement perpétuel…
Al Greco artiste espagnol situe son travail entre mobilité et continuum de l’image, il considère que l’espace internet « est une nouvelle forme derue ». C’est artisan du numérique autodidacte utilisant des boucles d’images «pour représenter ses propres images mentales au formatGIF » générant ici « un mantra visuel hypnotique ». Il considère que l’image en mouvement permet de laisser passer des messages bien plus rapidement que les autres formes d’art.
Germain Ipin s’intéresse aux formes non figuratives et à la symbolique des formes répétitives et de leurs motifs. Son travail est à la croisée de l’art urbain et de l’art contemporain. Hors des cadres habituels dont il se joue, « … (il) les ouvre, voire les éclate … », entraînant ainsi des distorsions « pour produire une œuvre intense et profondément sociale. »
Gonzalo Borondo explore la relation complexe entre l’art et le public. « Le cœur de sa poésie oscille entre la recherche du sacré et la nature subtile de la psyché humaine… Ses recherches se concentrent maintenant sur l’animation de la peinture à travers des processus analogiques innovants où l’interaction du son, de la lumière et de la vidéo, synthétisée sur le verre devient le cadre de tableaux dynamiques oscillant entre le visible et l’invisible. »
Au premier étage :
Addam Yekutieli réalise des projets en collaboration avec des personnes du monde entier invitant à une reconnaissance intuitive et empathique de l’autre. Projets liés à la complexité des rencontres interculturelles…. Sous la forme d’installations, de fresques, d’assemblages in situ, ils combinent des éléments ready-made, des techniques mixtes, des photographies et des textes « le tout associé à un désir de transcender les imaginaires traditionnels assujettis aux situations sociales et politiques. » L’objectif étant « de chercher à comprendre notre réalité commune de manière réelle plutôt que purement symbolique. » Vivant en Israël, il a au cours des deux dernières décennies développé une iconographie et un langage visuel qui cherchent à refléter des situations et des observations de la vie réelle « … dans le but de mettre en évidence le lien qui existe entre le personnel et le collectif, le politique et le personnel ».
Joaquin Jara est un artiste sculpteur environnementaliste. Sa pratique s’articule autour d’actions et de portraits sculpturaux. Ce sont des sculptures éphémères conçues pour ne pas durer et pour être en « dialogue permanent avec les facteurs transformateur de l’espace : la ronde des saisons, le temps qui passe et l’activité des agents vivants du milieu interagissent avec l’œuvre jusqu’à s’en emparer complètement ». Par ses installations se met en place « un processus qui cristallise et dilate le temps, l’espace et la matière ».
Au deuxième étage :
Mickael Beitz est un artiste américain dont le travail « se concentre sur la métamorphose d’objets simples qui se tordent, s’étirent, se développent de façon presque vivante ». Humour, ludisme sont les moyens pour lui « d’aborder l’impact psychologique de notre expérience avec les objets du quotidien ». Son travail rappelle les œuvres d’Arman et à celles de Tadashi Kawamata notamment pour son œuvre « Antique Organization » de 2023, chaises en bois. Toutefois son travail explore via ces objets « un sentiment d’aliénation, de perte et de conflit ». Par des meubles recyclés, il tente de leur redonner une vie intérieure évoquant en nous cette phrase de Baudelaire « Objets inanimés avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? ». De nouvelles formes pour aimer ?
Axel Void s’intéresse notamment et principalement aux comportements humains et« à la narration interrelationnelle à travers l’art… (par) les médiums tels que la photographie, le dessin, la peinture, la sculpture, le cinéma, l’installation, la musique l’écriture ou la curation comme autant d’outils pour intervenir à l’intérieur et à l’extérieur de l’espace d’exposition conventionnel ». Ses œuvres sont à considérer comme « un voyage vers la vérité ». Il nous propose une performance « The social room » durant laquelle une femme visible par un œilleton restera enfermée chaque jour durant une semaine et ne pourra communiquer que par internet.
Matteo Berardone est photographe et vidéaste ayant réalisé des documentaires engagés explorant la relation complexe entre l’art et le public, sur la démarche d’Ernest Pignon Ernest. Il est le photographe officiel du Collectif SUPRA TERRAM.
Pour conclure, nous pourrions dire que de nouveaux réalistes sont arrivés ! Plus exactement les Nouveaux Nouveaux réalistes de notre quotidienneté sont arrivés !
À la vôtre ! À voir et à consommer sans modération.
Philip Lévy
Photos : Philip Lévy, Matteo Berardone
du 10 février au 19 mars 2023
Espace Voltaire, 81 boulevard Voltaire, Paris 75011
Ouverte du mercredi au dimanche de 11 heures à 19h – entrée gratuite.