La vie après la vie 4/6
Arnaud Dumouch, théologien catholique, enseignant des religions
Vents d’Orage : En quoi les Near Death Experiences sont une confirmation philosophique de la théologie catholique ?
Arnaud Dumouch : Les NDE ne concernent pas directement la théologie mais sont liées à la philosophie. Et pourtant elles l’ont complètement bouleversée. Jusqu’à Saint-Thomas d’Aquin, on pensait que la mort était un instant où il ne se passait rien, après lequel le défunt était directement conduit au paradis, via le purgatoire, ou en enfer. On comprend désormais qu’il s’agit d’un passage au cours duquel il y a possibilité de se convertir.
VdO : Cela sous-entendrait une lecture nouvelle des textes sacrés ?
AD : Les premiers théologiens s’appuyaient sur l’écriture pour dire que le retour du Christ interviendra à la fin du monde. Mais cette notion de « fin du monde » comportait plusieurs niveaux intriqués de lecture. Lorsque la Bible dit « l’un sera pris, l’autre laissé », il faut entendre, à l’aune de l’apport philosophique des NDE, qu’elle parle bien de la mort de tout un chacun où le Christ se présente dans toute sa gloire accompagné des anges et des saints, et pas seulement de ce qui surviendra à la fin des temps.
VdO : L’Eglise catholique n’a cependant pas toujours été ouverte au paranormal ?
AD : Il subsiste un malentendu sur cette question. Depuis les débuts du christianisme, les théologiens s’y sont intéressés et ce sont plutôt les fidèles qui ont manifesté des superstitions, rejetant les prêtres formés à ce sujet. Mais l’interprétation faite par les Docteurs de l’Eglise comme Saint Thomas d’Aquin mettait le récit des expérienceurs sur le compte du rêve, considérant que le corps physique étant mort, il n’était pas possible de percevoir quoi que ce soit au travers des cinq sens. En fait il est apparu que les morts ne sont pas pur esprit mais emportent avec eux un corps double, une sorte de psychisme. Un corps fantomatique doté des sens, des souvenirs, des sentiments. Seul le corps biologique meurt.
VdO : Cette analyse est-elle admise par l’Eglise catholique ?
AD : Dans son Magistère, pas encore car celui-ci ne se prononce qu’en dernier lieu. Mais elle laisse les théologiens travailler, réfléchir. Les écrits du Père Edouard Marie Gallez parmi d’autres, ou les miens ne font pas l’objet d’un combat acharné même chez les thomistes, à l’exception de quelques intégristes. Pourquoi ? En définitive, l’interprétation précédente ne tenait pas compte d’un point essentiel, à savoir que le Christ est venu pour les pauvres pêcheurs. Si à sa mort, un pêcheur, un enfant -ou plus encore un païen n’ayant pas connu son enseignement- ne pouvait se repentir et se convertir, ce serait terrible et on comprend au fond l’illogisme, le contresens qu’une telle interprétation de la Bible soulevait.
VdO : L’Eglise a-t-elle une idée de la nature de ce corps double, fantomatique ?
AD : Elle ne se prononce pas et laisse la science le découvrir. L’être humain comporte trois niveaux : le corps biologique, le corps psychique fait d’une matière que l’on ne connait pas encore et l’esprit. La physique classique atteint le niveau de la matière corpusculaire. La physique quantique semble atteindre le niveau de la matière psychique. Mais notre intelligence et notre volonté relèvent du spirituel qui n’est pas fait de matière, tout comme les anges dénués de corps et faits de pur esprit.
VdO : Quid de la médiumnité, une possibilité bien réelle de contacter l’au-delà ?
AD : Il faut distinguer ce qui tient vraisemblablement de la télépathie, une capacité naturelle, quoique rare, à lire dans l’esprit de la personne, de ce qui n’a pas une origine naturelle mais fait appel à des puissances supérieures telles que les anges, les saints du ciel. Dans le cas des défunts, il peut y avoir des manifestations différentes en fonction du stade atteint par la personne décédée. Pendant le passage de la mort, le défunt peut susciter une pensée chez un proche. Les saints du ciel, c’est-à-dire les morts ayant gagné le paradis, peuvent quant à eux apparaître aux sens car ils ont la puissance de Dieu. Les médiums peuvent servir d’intermédiaire et confortent ainsi l’existence d’une vie après la mort. Ils doivent cependant être prudents et faire preuve de discernement car ils peuvent parfois entrer en contact avec des esprits mauvais.
VdO : Cela peut aller jusqu’à croire en la réincarnation, contraire au message chrétien ?
AD : Oui en instillant le doute. Le monde catholique pose le principe de la permanence des êtres et de leur relation d’amour avec Dieu. Par opposition le monde bouddhiste fonde son enseignement sur l’impermanence des choses et des créatures qui seraient des énergies transmises d’un corps à un autre en tant que composantes d’un grand tout.
VdO : Le jugement dernier doit-il être réinterprété ?
AD : Il s’agit d’une image que de parler de jugement. Certes le passage de la mort aboutit à une rencontre avec le Juge qui est la norme de la loi mais il s’agit d’une loi d’amour et de miséricorde. Appuyé sur les NDE, même si indirectement au travers des théologiens qui œuvrent sur le sujet, le pape Benoit XVI lui-même suggère (cf. Spe Salvi 47) que ce jugement se fait pendant le passage de la mort, au travers d’une rencontre avec l’être de lumière portant la vérité et l’amour, accompagné des proches décédés, des anges.
VdO : Les expérienceurs ont effectivement le sentiment d’avoir été mis face à leurs actions en regardant le film de leur vie, leur offrant l’opportunité d’évoluer…
AD : De se convertir, de se repentir, d’évoluer par le biais d’une forme d’auto jugement et d’une prise de conscience.
VdO : La multiplication des récits de NDE, de témoignages autour de la médiumnité s’apparente-t-elle à une nouvelle évangélisation, dans une époque où l’apostasie frappe nos sociétés occidentales ?
AD : J’en suis assez persuadé. Au moment où notamment la génération de mai 68 s’est totalement détournée du christianisme au profit d’un humanisme sans Dieu. Ces manifestations traduisent une action miséricordieuse du ciel, Dieu ne pouvant les abandonner totalement à une vie de consommation insensée.
VdO : Les théologiens d’autres religions prennent-ils eux aussi les NDE en considération ?
AD : Effectivement. Chez les bouddhistes, le passage consisterait en une rencontre avec un sage accueillant le défunt pour le préparer à sa prochaine incarnation. Les musulmans y voient Azrael, l’ange de la mort, mais sont un peu gênés puisque considérant que les morts dorment au tombeau jusqu’à la résurrection. Idem pour les protestants car l’être de lumière, le Christ, seul rédempteur, ne se présente pas seul alors que d’autres êtres l’accompagnent pour participer au salut du défunt. Les juifs peuvent y voir la rencontre avec le messie qu’ils attendent, n’ayant pas reconnu le Christ comme leur messie. Il semble donc que les récits des expérienceurs corroborent davantage l’enseignement des Eglises catholique et orthodoxe.
VdO : Mais cette présence du Christ n’est-elle pas antinomique avec sa seconde venue annoncée par le Nouveau Testament ?
AD : Le retour du Christ se passe à plusieurs niveaux selon le même mystère. Son retour sur Terre sera la clé de l’histoire du Monde. La seule différence tiendra au fait que la dernière génération ne sera pas soumise au passage de la mort physique. Mais le Christ se présentera à chacun de la même manière, accompagné de nos proches disparus, des anges et saints du ciel. Ce retour interviendra lorsque le dernier Antéchrist règnera. Le Monde sera un enfer spirituel, à cause de l’absence du vrai Dieu. Pas un enfer de feu tel que l’imagerie traditionnelle nous le montre, mais un enfer où Dieu sera rejeté, où l’amour de soi sera poussé jusqu’au mépris total du dieu d’humilité, exalté sur toute la surface de la Terre.
VdO : La Vierge Marie tient-elle un rôle particulier, ses apparitions à partir de la rue du Bac à Paris annonçant la fin des temps ?
AD : A la fin des temps, l’Eglise connaitra une épreuve terrible, faisant écho à la passion du Christ, reniée, rejetée qu’elle sera par le plus grand nombre (cf. Catéchisme de l’Eglise catholique 675). La Vierge Marie rassemble une petite Eglise de résistance intérieure ayant vocation à préparer, avec toute sa tendresse maternelle, le retour du Christ. Tout comme elle le fait lors de certaines NDE où elle apparait à ses côtés. Mais si les NDE participent d’une certaine évangélisation, elles n’approchent que le deuxième ciel, id est le passage de la mort quand les Evangiles, eux, atteignent jusqu’au septième ciel, la Vision de Dieu face à face.