Fuck America
La rentrée théâtrale n’est jamais folichonne. D’abord parce que c’est la rentrée tout court. Ensuite parce que tu croules sous les propositions de spectacles et peines à faire le tri entre bon grain et ivraie. La solution : se tourner en priorité vers les Attachés de Presse qui te connaissent bien et font un travail formidable pour la promotion de pièces de qualité. Il y en a, Catherine Guizard compte parmi ceux-là, et il est bon de le rappeler de temps à autre. Première pièce de la saison, donc, et première claque. Une vraie découverte que cet auteur de génie, injustement méconnu, Edgar Hilsenrath.
Le titre aurait pu évoquer quelque brulot d’anti-américanisme primaire, ce cher Donald comme une mine intarissable d’inspiration pour égratigner nos amis d’outre Atlantique. Il n’en est rien puisque c’est de survie après la Shoah qu’il s’agit. En trame de fond tout au moins, car là se niche le talent de l’écrivain. Les plus malins d’entre eux ne cherchent pas à délivrer un message de manière frontale et se contente de raconter une histoire. Le style et l’esprit font le reste, permettant d’aborder bien des thématiques sans avoir l’air d’y toucher. Le personnage central de Jacob Bronsky a connu l’horreur, c’est un fait, et son émigration vers le prétendu rêve américain ne se fait pas sans écueils.
Est-ce le texte lui-même, l’interprétation de Nicolas Censier, la mise en scène qui fait la part belle –et c’est heureux– à l’humour… ce parcours chaotique de petits boulots en baises sordides rappelle un peu l’univers littéraire de Steinbeck. Ou encore le cinéma de Scorcese. Par le truchement d’une scénographie minimaliste focalisant l’attention sur la causticité du texte et le jeu inspiré des acteurs, le spectateur un rien voyeur, s’immisce au plus près du protagoniste.
On déflore peu à peu son intimité, ses craintes et surtout son irrépressible besoin d’écrire. Pour exhorter la souffrance, certainement. Mais aussi parce l’écriture a sans doute toujours été nichée en son sein, plus forte encore que ce qu’il a vécu et pour lequel Bronsky montre d’ailleurs un certain détachement ; feint ou salvateur, nous le découvrirons peut-être.
Vents d’Orage est allé à la rencontre de deux des comédiens de cette belle compagnie de Province, montée à la capitale pour nous donner à rire et à réfléchir :
Le pitch :
New York 53. Jakob Bronsky, fraichement débarqué d’Europe après avoir survécu aux déportations, est un exilé en quête de résilience. Mais l’Amérique fantasmée n’est pas à sa portée, il n’adhère pas au rêve américain.
Alors c’est par l’écriture de son roman sur la Shoah qu’il tente de guérir. Il décrit avec humour et légèreté sa condition de migrant, errant entre les jobs minables, les putes, les plans pour tromper la faim et écrire son futur best-seller : Le Branleur.
Fuck America
Auteur : Edgar Hilsenrath
Mise en scène : Laurent Maindon
Avec : Ghyslain Del Pino, Christophe Gravouil, Laurence Huby, Yann Josso et Nicolas Sansier
Jusqu’au 14 octobre 2018, du jeudi au dimanche
Manufacture des Abbesses
7 rue Véron
75018 Paris
David Fargier