Nous sommes au début du XXe siècle, lorsque deux hommes, Théodore Reinach et Emmanuel Pontremoli, tous deux Membres de l’Institut, l’un archéologue et savant pluridisciplinaire, l’autre Grand Prix d’architecture en 1890 et ancien pensionnaire de la Villa Médicis, décidèrent d’allier leurs passions et leurs talents au service de la création d’une œuvre d’art: la Villa Kérylos.
Théodore Reinach et son architecte s’attelèrent donc, entre 1902 et 1908, à la construction de ce chef d’œuvre, qui allie la subtilité du luxe antique et le confort des constructions modernes.
Située sur la pointe de la baie des Fourmis, à Beaulieu-sur-Mer, la Villa Kérylos, dont le nom signifie en grec ancien « hirondelle de mer », est nichée parmi les pins et « fouettée par le vent et les embruns » selon les termes mêmes d’Emmanuel Pontremoli, dans ses Propos d’un solitaire. Tout n’est ici que « calme, luxe et volupté, » selon Henri Matisse, célèbre voisin niçois de ce bijou d’arts décoratifs, sans nul autre pareil.
Car la Villa Kérylos n’est en aucun cas la reconstitution d’un palais grec antique, mais bien une création artistique contemporaine de son époque, rendant hommage à la civilisation helléniste dans ce qu’elle avait de plus raffinée, en lui conférant tout le confort moderne du début du XXe siècle. En effet, il s’agit avant tout pour son commanditaire d’ériger une maison de famille, dans laquelle chacun de ses membres pourrait s’y reposer à loisirs, et son propriétaire, profiter de ses collections et parfaire son érudition dans son bureau-bibliothèque, riche de plusieurs milliers d’ouvrages, où comme Victor Hugo à Guernesey, il avait l’habitude d’écrire face à la mer, balayant du regard les monumentales falaises d’Eze et le Cap-Ferrat.
La décoration intérieure est inspirée de la Grèce antique. Les pièces sont organisées autour d’un péristyle, soutenu par douze colonnes de marbre blanc, au centre duquel trône une magnifique vasque. Le mobilier des salons est en bois fruitier, chevillé et marqueté d’ivoire, de buis ou d’ébène. Les sièges sont tendus et tressés de cuir. Les tables à trois pieds, assurant l’équilibre parfait. Dans les vitrines sont présentés des objets de collection originaux des IIIe, IVe et Ve siècle avant Jésus-Christ.
Tout comme les anciens qui prenaient leurs repas étendus sur des lits disposés autour de la table, la salle à manger, de forme octogonale, est aménagée de façon similaire. Le plafond est décoré à la feuille d’or. Dans l’enfilade, l’andron, ou salon des hommes, s’ouvre sur le péristyle par trois portes garnies de grilles de bronze. Comme dans toutes les pièces, le plafond à caissons, en bois de teck, est richement décoré.
La visite du rez-de-chaussée se termine par le salon de musique, dédié à Dionysos, dans lequel se trouve un magnifique meuble de style antique, qui renferme secrètement, sous des marqueteries rares, un piano sur lequel a joué Gabriel Fauré, ami du propriétaire.
Le premier étage, quant à lui plus intimiste, abrite les chambres du couple Reinach. Là encore, la décoration est raffinée, mais empreinte d’une certaine sobriété dans la réduction du nombre des pièces de mobilier, comparé à l’étage inférieur, davantage dédié aux mondanités. En revanche les salles de bain, font l’objet d’un luxe de détails et de décorations inouïs, avec par exemple des robinets en argent, en forme de dauphins se déversant dans des baignoires taillées dans des blocs de marbre, pesant près d’une tonne chacune. L’esprit des thermes antiques est bien présent.
Comment évoquer un palais grec sans faire référence à ses thermes. Ceux de la Villa Kérylos, qui ouvrent et clôturent la visite du bâtiment, sont majestueux. Sertis de marbre et de mosaïques, la légende veut que Sarah Bernard, célèbre comédienne et amie de Théodore Reinach, s’y serait baignée…
En l’absence de confirmation historique, rêvons à cette anecdote qui participe au mythe, devenu réalité esthétique et architecturale : la Villa Kérylos, paradis azuréen des dieux grecs sur Terre…
Nicolas Callégari
Villa Kérylos
Impasse Gustave Eiffel
06310 Beaulieu-sur-Mer