S’il est un lieu à Tahiti où l’énergie reste foisonnante, c’est bien la Galerie Winkler, pionnière en art contemporain sur le territoire avec plus d’un demi-siècle d’expériences à son actif.
Loin de baisser les bras dans ce contexte sanitaire, sa pétillante propriétaire a mis à profit la première période de confinement pour valoriser la vente en ligne des œuvres proposées en ses murs. Ces derniers, en mode 2.0, se sont démultipliés offrant au public « accro » à la « toile » la vitalité de la Polynesian Touch. Ainsi les ventes prennent leur envol dans cette planétaire virtualité tandis que les expositions s’enchainent sur le fil de l’actualité, variées, étonnantes, audacieuses à l’image de la galeriste qui nous dévoile son singulier parcours.
Dans les années 90, son master toulousain d’Arts Plastiques en poche, en route vers l’agrégation, elle prend finalement la tangente pour New York avant de boucler la boucle en accompagnant en tant qu’enseignante 3O classes d’élèves pendant 2 ans dès son retour au Fenua.
Stimuler la jeunesse sur le terrain s’avère la première étape d’une vision bien plus culottée. En effet, alors qu’elle vient tout juste de décrocher les toiles de ce qui fut son unique exposition dédiée en 1999, elle se voit proposer le rachat de la prestigieuse Galerie Winkler. Elle n’a que 23 ans, le monde bascule dans le XXIème siècle. L’artiste mue, « l’artiste s’efface derrière la galeriste » confie-t-elle. De cette façon s’écrit le fabuleux destin de Vaiana Drollet, polynésienne de son état, rebelle par le sang, généreuse par l’esprit qui depuis 20 ans réussit l’exploit de pérenniser l’ADN du lieu tout en réactualisant l’avant-garde du territoire.
Chaque année est le terrain de jeux d’expositions thématiques dans ou hors les murs comme cette partie de Cluedo artistique dans la Maison Musée de James Norman Hall ou « Te pinai o te aru/l’écho de la forêt » qui invita les artistes à investir simultanément la Galerie et le jardin botanique de Papeari, puis une autre année s’interroger collectivement sur la patate polynésienne, ce tubercule nommé taro qui de la cagette passa au rang de muse. Tout est sujet.
De muse il est à nouveau question aujourd’hui avec une Mona Lisa qui n’aurait pas tout dit sur le Tapa. Un mystère de cinq siècles qui chatouille un mystère de dix siècles, des mémoires qui s’entrecroisent dans une exposition qui vient tout juste d’avoir lieu à la Bibliothèque Universitaire de la Polynésie française (cf article http://itartbag.com/tapa-tout-dit-de-noumea-a-tahiti/).
Il n’en fallait pas plus pour apercevoir le sourcil de Vaiana se relever et sentir le sourire s’esquisser pour lâcher un : « et si on faisait le OFF » ?
Derrière cette question, derrière les 18 artistes sélectionnés issus de la Bibliothèque Universitaire, une autre troublante mémoire s’est réveillée car on apprend que l’unique exposition personnelle de la galeriste fut sur le Tapa. On apprend aussi que son Mémoire aborde la question de la pratique rituelle du tatouage marquisien dans sa pratique plastique, sous l’angle des apports des ethnologues mêlés à ses acquis personnels. Notre regard se prend alors à parcourir la fluidité de la gestuelle de Vaiana, à remonter de la main jusqu’à l’épaule dans ses parties de son anatomie devenues supports plastiques, réceptacle du symbolisme de ses questionnements. Elle a, tatoué sur son corps, son sujet de fin d’études, ses branches et ses fruits.
Respiration, expiration. En silence, on comprend qu’elle n’a jamais cessé de concevoir, que sa passion de l’autre nourrit son processus créatif, que l’autre, « l’artiste est la matière première ». Vaiana n’accroche pas. Elle compose.
Pour accueillir un collectif, elle se transforme en chef d’orchestre. Les premières notes du « OFF » de « Mona Lisa TAPA tout dit » sont florales grâce à la délicate fragrance « Princesse du temps » du maître parfumeur Lovaïna Guirao.
On retrouve le travail de proto-écriture dans une transparence de fleur de Karine Roué qui dialogue avec l’aventureuse lumière nacrée de « Tepoganui ». En écho, « La Cape du temps » de soie de Claire Mouraby présente sa face cachée en papier ainsi que la broderie/livre « La peau nue du monde » sur faraoti.
Vashee, artiste infatigable, investit tous les soirs le lieu pour continuer son travail pictural sur « Inspirer – Taper ». Libor Prokop l’accompagne en musique pour « apaiser la colère des Dieux » avec son exclusive flûte nasale en fibre végétale.
Tahiri Sommer, qui revient des Marquises, continue de chercher du « tape ». Valmigot a filé dans le temps du rêve à côté d’Eric Ferret qui propose de l’éclairer à la douce lumière de « Fragile ». Pierre Motahi nous parle de « transmission », quand Moetu Fenuart condense sa réflexion sur la peau brûlée.
Gaya alerte sur « l’invasion » du motif pied de coq quand Jean Paul Forest transcende son battoir à tapa dans une présentation phallique. Concrètement Design propose d’écrire notre histoire avec des tampons stylisés faits à partir de savates et de palettes. Berni se retrouve au piquet avec des lignes d’écriture, « je ne dois pas faire du tapa » mais espère bientôt se reposer sur le coussin de nos consolations « tapa blues ». Maimoa l’avait pourtant prévenu avec son « Tapa Tapu » de rester à distance des dogmes. Heureusement Titouan Lamazou veille à l’entrée du lieu au bon déroulé de l’exposition. Un peu plus loin, dans une alcôve, la « Mona Hina » de Te Araiti nous suit du regard jusqu’à la sortie. A ce moment là, si vous levez la tête, Un Saint-Jean Baptiste vous indiquera Les Pléiades.
Il est encore temps de parcourir l’exposition.
« OFF » : du 29 octobre au 10 novembre 2020.
Galerie Winkler – Vaiana Drollet
17, rue Jeanne d’Arc, 98713 Papeete
+689 40 42 81 77, gal.winkler@mail.pf
Site/ achats en ligne :
https://www.galeriewinkler.net
Catalogue de l’exposition :
Du lundi au vendredi de 9h à 12h30 et de 13h30 à 17h ; Samedi de 8h30 à12h
Liste des artistes :
BERNI, CONCRèTEMENT DESIGN, Eric FERRET, Jean Paul FOREST, GAYA, Lovaïna GUIRAO, IHO TUMU, Titouan LAMAZOU, MAIMOA, MOETU FENUART, Pierre MOTAHI, Claire MOURABY, Libor PROKOP, Karine ROUé, Tahiri SOMMER, TE ARAITI, VALMIGOT, VASHEE
Texte : Rose Bergé
Photos : Valmigot