Fermer les yeux, une respiration, puis les ouvrir et se rendre compte de l’amertume et de l’épaisseur du noir qui nous entoure ; celle de la grotte. Une plongée dans le noir pour mieux cerner et accéder aux vérités de l’humanité, tels sont les maîtres mots mis en scène dans la nouvelle pièce traduite de Parelle Gervasoni sur un texte original de la renommée finlandaise Laura Ruohohen.
Pour sa toute première création, l’audacieuse Compagnie Pistë propose une immersion totale dans les entrailles de la Terre, là où les origines du monde sont confrontées à la main mise de l’Homme, et plus radicalement, à sa fin prochaine. Parce qu’Ici nos yeux sont inutiles, il ne suffit plus de « voir » pour comprendre, mais plutôt de sentir et « savoir » entendre les vérités durement énoncées par la grotte, ce couloir de lumière.
« J’imagine la grotte comme un labyrinthe. Un labyrinthe nous trouble, nous fait perdre nos repères, mais il nous impose de trouver sa voie dans le chaos, de prendre le temps de le chercher. Ce labyrinthe souterrain devient la projection des méandres d’une quête intérieure » – Parelle Gervasoni, traductrice et metteuse en scène.
Fabuleux mélange de poésie et de philosophie, la pièce n’est pas non plus sans manquer d’humour : un trio d’ingénieurs loufoques ayant pour objectif de cacher une quantité colossale de déchets nucléaires pour une période de 100 000 ans, un guide chamane très douteux divaguant sur sa véritable identité, un gardien dépassé, plus en proie au sentiment amoureux plutôt qu’à son propre travail ; seul le personnage de la Femme, aussi archéologue, définit le contraste et monopolise la cachet du sérieux.
Illusions, mirages sonores et sensoriels, simples « tâches » murales ou au contraire, « tâches » comme étant des traces rupestres d’un passé trop vite oublié, égaré par le naturel vice vanité, il est clair que la pièce met en avant la thématique de l’égarement. Des personnages prêts à tout pour enfouir les erreurs commises de leurs propres mains, le déni, un aveuglement prémédité et choisi. Un sanctuaire de mémoire collective effacé au profit de la survie de l’espèce humaine.
Cette pièce de théâtre est d’autant plus captivante qu’elle questionne un certain nombre d’actualités contemporaines. Sa symbolique est forte : l’Homme est un génie scientifique, il progresse sans cesse, il invente et construit sans limite, mais n’y a-t-il pas un seuil infranchissable ?
Autant de questions actuelles et sensibles à la cause environnementale dont les artistes et metteurs en scène en détiennent parfaitement le feu : parce que le théâtre permet la symbiose entre utile et agréable, Ici nos yeux sont inutiles propose une véritable mise en abyme de l’humain, son histoire et sa relation avec l’environnement qui l’entoure.
Sa présentation prochaine garantit une explosion d’énergie. Au programme, des personnages incarnés par des acteurs talentueux tels que Vincent Chapet, Bénédicte MBemba, Jean Pavageau, Manon Raffaelli, René Turquois ou encore Pierre Vuaille mais aussi un fond sonore surprenant produit par l’artiste Samir Amarouch.
Pour rester à l’affût des actualités de la pièce, il vous suffit de vous rendre sur le lien suivant : https://www.compagnie-piste.fr. En espérant une réouverture prochaine de ces lieux culturels qui nous sont particulièrement chers.
Irina Bengouirah
Visuels : Sean Cackoski avec l’aimable autorisation de la Compagnie Pistë.