Le musée Guimet présente un ensemble exceptionnel d’estampes d’Utagawa Hiroshige (1797-1858), destinées à orner des éventails. Réalisées entre 1830 et 1850, ces feuilles d’éventails révèlent la diversité de ses sujets d’inspiration. Les œuvres exposées proviennent de la Fondation Georges Leskowicz, qui possède la plus importante collection privée de feuilles d’éventails de Hiroshige.
L’éventail plat en bambou (uchiwa) est un accessoire de saison, éphémère, qui se popularise au Japon à l’époque d’Edo (1603-1868) pour devenir ensuite un véritable support d’expression artistique, signé par les noms de grands maîtres de l’estampe de l’école picturale japonaise ukiyo-e. Objets jetables, vendus au prix d’un bol de nouilles par des colporteurs, ou empilés aux devantures des échoppes, les éventails ont quasiment tous disparu. Les estampes préservées n’ont jamais été montées sur leurs armatures, et, non découpées, ont été préservées par des éditeurs d’estampes ou des collectionneurs. Hiroshige en réalise plus de six cent cinquante. L’exposition du musée Guimet en présente quatre-vingt-dix.
La première salle de l’exposition présente des oeuvres s’inspirant des célèbres sites de la ville d’Edo
(aujourd’hui Tokyo), métropole de plus d’un million d’habitants au début du XIXème siècle. Les éventails sont ornés de vues urbaines, de jardins, de temples, de lieux de distraction et d’excursion de la ville. Hiroshige consacre une série d’estampes au “quartier des plaisirs” de Yoshiwara, à l’image de l’estampe polychrome Neige (vers 1849-1851). La Sumida, fleuve qui borde la ville, est l’un des thèmes favoris de Hiroshige ; il s’agit d’un lieu de loisir important des citadins. Dans une magnifique série hivernale, Hiroshige représente le fleuve franchi par des figures féminines : Le bac de Hashiba sur la Sumida. Paysage de neige (1849-1952), La sumida sous la neige (1851-1852) et Neige au temple Mokubo-ji ( 1849-1852).
Le parcours de l’exposition se poursuit avec des vues de paysages provinciaux. Hiroshige représente de façon quasiment documentaire des sites qu’il a lui-même parcourus, notamment en empruntant la célèbre route du littoral du Tôkaidô, qui relie Edo à la capitale impériale, Kyoto. Cet axe de 500 km offre au regard d’Hiroshige des points de vue somptueux. Vues maritimes et sites lacustres sont ainsi l’objet de nombreuses estampes, à l’image du Fleuve Fuji-kawa (vers 1849-1851). Le bleu de Prusse, nouveau pigment importé de Hollande, est utilisé pour rendre le ciel, la mer, les fleuves et les lacs.
Les éventails de Hiroshige représentent, outre des paysages, de nombreuses femmes, très élégantes, associées à leur cadre quotidien ou à des sites célèbres tel que Matin sous la neige au temple Kanda myôjin (vers 1843-1846). L’art est également un sujet privilégié par Hiroshige puisque plusieurs estampes font référence à des thèmes littéraires, qu’ils soient classiques ou issus du répertoire contemporain du théâtre kabuki. Saigû no nyôgo (vers 1843-1846) emprunte son titre au nom de la poétesse qui fait partie des Trente-six génies féminins de la poésie. L’estampe illustre une composition du Nouveau recueil des poèmes de jadis et de maintenant (1216), qui évoque notamment le destin des liens amoureux.
Enfin, des estampes bucoliques composées de fleurs, végétaux, oiseaux et animaux, complètent le parcours de l’exposition. Ces feuilles d’éventails sont rares et très recherchées car elles comptent parmi les plus élaborées graphiquement, présentant un grand nombre de couleurs et de nuances. Le visiteur découvrira une Mésange sur un cerisier (vers 1849-1851) ou un Zostérops sur un plaqueminier (vers 1830-1844).
L’émerveillement que suscite cette exposition tient à l’indistinction entre l’art et l’artisanat : en Occident, on ne peut pas imaginer d’harmoniser en un seul objet, à l’usage purement quotidien et au destin éphémère, la signature d’un grand artiste, habitués comme nous sommes à “ l’œuvre”. C’est donc cette fragilité et beauté reliées qui nous touchent comme un miracle : la survivance d’objets destinés à disparaître.
L’exposition Hiroshige et l’éventail, conçue par Christophe Marquet, commissaire de l’exposition, est à découvrir jusqu’au 29 mai 2023.
Perrine Decker
Du 15 février au 29 mai 2023
Musée national des arts asiatiques Guimet, 6, place d’Iéna, 75116, Paris
Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h
Réservations : https://billetterie.guimet.fr/fr-FR/accueil