La vie d’un artiste n’est pas un long fleuve tranquille. Entre le défi de se faire connaître, celui de se faire soutenir puis, in fine, de se faire exposer ou acheter certaines toiles, le parcours de celui qui se rêve être le nouveau Picasso ou Rembrandt, tourne parfois court. Des organismes comme la Fondation des Artistes tentent néanmoins de faire évoluer ces conditions. Parmi les actions de cette fondation qui a comme bienfaitrice originelle la Baronne de Rothschild, l’on retrouve le Prix Michel Nessim Boukris. Pour cette quatrième édition, l’artiste-peintre Benjamin Swaim a été décoré, recevant la somme de 10.000 euros.
Lorsque meurt en 1922 Adèle de Rothschild, une importante part de la collection familiale, ainsi que l’hôtel particulier Salomon de Rothschild, sont légués à l’Etat. Les volontés testamentaires sont claires : faire de cette demeure, en plein cœur du 8e arrondissement de la capitale, une « Maison d’art ». C’est ainsi que la Fondation des artistes, anciennement Fondation Nationale des Arts Graphiques et Plastiques, accède à cette propriété lors de sa création en 1976. Plus de 100 ans après la mort de l’illustre propriétaire Rothschild, l’envie de partage, d’échange autour de l’art sont restées intactes.
Plus encore, l’accompagnement proposé par la fondation s’est renforcé. L’idée est de proposer un suivi complet des artistes, de leurs éclosions jusqu’à leurs derniers jours. En ce sens, des ateliers-appartements ont été créés dans les locaux de la fondation à Nogent-sur-Marne, ainsi qu’une maison de retraite pour les artistes.
L’aide à la création est également conséquente avec un budget de 500.000 euros par an. Elle apparaît comme le premier dispositif privé aidant la production artistique sur le territoire français. A cette jolie somme s’est ajoutée la dotation du Prix Michel Nessim Boukris, issu du don du Docteur Boukris en hommage à son frère passionné par l’art, emporté par la maladie. A titre posthume donc, feu Michel Boukris œuvre lui aussi pour le développement des artistes par le truchement de ses frères.
Sélection des artistes
« Nous recherchons des profils jeunes et peu connus » explique le Dr Boukris. « L’idée est de faire connaître, pas de récompenser une personne déjà très connue ». En tout, ce sont quelque cinquante candidatures qui sont étudiées par le jury chaque année. Ces dernières sont issues des deux commissions mécénat qui se tiennent chaque année au sein de la fondation. Ces 50 artistes, triés sur le volet, bénéficient d’une aide ; parmi ce groupe, figure le gagnant du prix. Il n’est donc pas nécessaire pour ces derniers de postuler pour l’obtenir, ils sont candidats d’office une fois entrés dans la Fondation des Artistes.
Un an après le sacre de la plasticienne Isabelle Giovacchini, le prix se tourne à nouveau vers la peinture – la première édition avait ainsi récompensé Daniel Horowotiz – en rendant hommage au travail de Benjamin Swaim. Né en 1970, cet artiste se distingue notamment par sa recherche stylistique autour des paysages. « J’ai pensé à Nicolas de Staël» complimente le Dr Boukris. « On a eu le Bleu Klein, peut-être le Violet Swaim ? » poursuit-il, ne tarissant pas d’éloges sur son champion.
Destinée
A l’occasion de cette remise de prix, une toile de l’artiste a été présentée. L’on remarque en effet une utilisation de la couleur se rapprochant de certaines périodes du peintre originaire de Russie, bien qu’un réalisme plus poussé transparaisse. La couleur violette, dominante sur cette toile, se mêle aux autres couleurs assez sombres que sont le bleu et le rouge. Un jeu de contraste se crée entre le côté ténébreux, poussiéreux peut-on penser, du canapé et de la pièce, et la pureté représentée par la blancheur de l’oreiller. Cette même blancheur, synonyme d’échappatoire : à la fenêtre sur le coin gauche de l’œuvre, l’on perçoit un ciel bleu avec quelques nuages blancs. Une invitation à s’endormir sur un édredon pour fuir l’endroit où nous nous trouvons ?
« Ces peintures nous apaisent, nous font du bien » conclut le Dr Boukris, visiblement très touché par la production de l’artiste. Récompensé, Benjamin Swaim compte bien mettre à profit le soutien qu’il a reçu pour viser plus haut et faire « de grands formats ». Les fameuses masses colorées de Nicolas de Staël avaient en effet une dimension démesurée, à l’image de l’un de ses chefs-d’œuvre, Parc des Princes (1952), au format 2 mètres sur 3,5.
Auréolé de succès, de Staël aura marqué l’Histoire de l’art par ses productions aussi touchantes qu’intrigantes. « Je vous souhaite d’avoir le même succès que lui… enfin sauf la fin », bredouille le Dr Boukris. Mais la salle s’esclaffe de bon coeur, bien que tout le monde garde en mémoire le suicide soudain de Nicolas de Staël dans sa maison à Antibes.
Malgré le succès et la reconnaissance, la vie de l’artiste n’est décidément pas un long fleuve tranquille.
Gabriel Moser.
Prix Michel Nessim Boukris remis le 18 juin 2024 à l’Hôtel Salomon de Rothschild, 11 rue Berryer, 75008 Paris.
Fondation des Artistes, Maison nationale des artistes, 14 rue Charles VII, 94130 Nogent-sur-Marne.