Julie Manet et ses Cousines à Deauville

Aux Franciscaines de Deauville, on est soucieux de promouvoir le travail des femmes longtemps oublié dans l’histoire de l’art, offrant ici une exposition intime et inédite d’artistes peintres, femmes, du 20ème siècle. En croisant peintures, écrits et photographies, cette rétrospective souligne la transversalité des pratiques artistiques féminines et la contribution de Julie Manet ainsi que Jeannie et Paule Gobillard à une meilleure compréhension de l’histoire de l’impressionnisme. L’exposition réunit une collection exceptionnelle de près de 90 œuvres issues de collections aussi publiques que privées. S’inscrivant dans un axe et une volonté de représenter cette création féminine, le musée a récemment aussi fait l’acquisition d’œuvres de Françoise Pétrovitch, Claire Tabouret et Nina Childress.

L’exposition révèle un travail de recherche liant certaines photographies et peintures, notamment à travers les photographies réalisées par Marie de Vaissière, cousine des filles, permettant de mettre en avant l’importance des femmes dans l’histoire de l’impressionnisme. Ces compositions photographies sont réalisées dans des cadres familiaux ou naturels et mettent en lumière les inspirations croisées des artistes. Elles ont notamment permis d’identifier Julie Manet sur un des tableaux cryptiques de Renoir peint en 1899. Dominique d’Arnoult, commissaire d’exposition et chercheuse en histoire de l’art a permis de faire ce lien important témoignant de la nécessité d’explorer la création féminine et le rôle de ces trois cousines.

Qui est Julie Manet ?

Julie Manet (1878-1966), fille unique de l’impressionniste Berthe Morisot et nièce d’Édouard Manet, est bien plus qu’une simple muse des peintres de son temps. À travers ses œuvres et son journal intime, elle offre un regard rare sur l’histoire de l’impressionnisme et une fenêtre sur la création féminine. En 2021, le musée Marmottan-Monet avait dévoilé l’exposition Julie Manet, la mémoire impressionniste. Aux Franciscaines de Deauville l’exposition va plus loin, elle place Julie dans le contexte de ses trois cousines et suit pas à pas leurs vies hors normes. Elle éclaire les liens entre amitié, deuil et création tout en soulignant leur importance dans le monde artistique de la fin du 19eme siècle.

Une jeunesse marquée par le deuil : dès l’enfance, Julie perd successivement ses parents, un malheur qui influencera profondément son art. La peinture devient pour elle une manière de sublimer la douleur et perpétuer l’héritage de sa mère, Berthe Morisot. Travaillant, jeune, à ses côtés, elle partage dans son journal des moments de création intenses, dont elle se souviendra toute sa vie. Elle raconte dans celui-ci en juillet 1895 : « À chaque joli paysage, je vais me dire: ‘Comme Maman aurait bien fait cela».

On retrouve dans le parcours un de ses tableaux les plus aboutis, Jeune femme à l’étole d’hermine (1898-99), montrant comment Julie s’inspire des techniques apprises aux côtés de sa mère, et de son oncle, Edouard Manet. Ses copies à l’aquarelle font sentir la beauté des tableaux originaux en gardant une saveur particulière apprise par son entourage. Les paysages de Julie Manet, notamment sa série sur Rouen, montrent une évolution vers une peinture plus mature et personnelle. Fascinée par la ville, elle s’éloigne des scènes bucoliques pour s’attacher aux paysages industriels, peignant les cheminées et les docks visibles depuis son hôtel.

Son journal et ses œuvres permettent de dévoiler, par l’évolution de ses tableaux et ses nombreuses périodes d’apprentissage, les techniques transmises par les maîtres impressionnistes qu’elle côtoyait. Durant un séjour à Rouen, Julie rencontre Camille Pissarro, qui peint lui aussi la ville, on peut voir son tableau ci-dessus, Le Pont Boïeldieu à Rouen (1896) qui en témoigne. Ensemble, ils échangent sur la manière de capturer les silhouettes urbaines au crépuscule. Les tableaux de cette période témoignent d’une évolution stylistique de Julie marquée par une recherche de contraste entre nature et architecture industrielle.

Et ses cousines ?

Paule et Jeannie Gobillard vivent avec Julie en 1895 et pendant les quelques années qui suivent dans un appartement parisien rue de Villejust, et jouissent ensemble d’une liberté rare pour des jeunes filles au 20ème siècle. Pour l’anecdote, Julie et Jeannie iront même jusqu’à se marier le même jour ! L’exposition, basée en grande partie sur le journal de Julie Manet, nous plonge dans son quotidien et celui de ses cousines, Paule et Jeannie Gobillard. Ces trois jeunes femmes évoluent dans un environnement artistique exceptionnel et leur parcours est rythmé par la créativité.

Pendant leurs étés à Essoyes ou Dinard, les cousines rencontrent Renoir, qui leur prodigue des conseils et les initie à l’aquarelle en pleine nature. Des œuvres inédites, comme une petite aquarelle représentant un pont sur une rivière, témoignent de ces moments uniques et approfondissent nos connaissances.

Paule Gobillard : Une artiste à (re)découvrir

Bien que Julie Manet soit mise en avant, l’exposition consacre sa plus large portion à Paule Gobillard, une artiste exigeante et prolifique. Paule, qui expose régulièrement au Salon d’automne au début du 20ème siècle trace sa propre voie artistique.
Dans la section de l’exposition un ‘journal en peinture’ on comprend comment Paule capture les scènes de la vie quotidienne avec une sincérité touchante. Elle peint principalement des scènes de vie privée, au sein de foyers, cristallisant son époque.

On retrouve notamment sur l’affiche un portrait de Julie par Paule peint en 1900. Celui-ci fait parties des nombreuses toiles qui représentent ses proches dont sa famille ou des amis. Elle réalise de nombreuses peintures de leur appartement partagé comme Vue depuis l’appartement rue de Villejust, réalisée entre 1935 et 1938 présentant une vue originale et intime de l’arrière-cour. Chaque détail de la scène – le linge suspendu, les cheminées fumantes – témoigne d’une grande sensibilité et d’un œil aguerri.

Paule Gobillard reste trop souvent méconnue malgré l’attention particulière que mérite ses toiles et sa vie. A l’origine, jeune fille de la légion d’honneur, elle décide de poursuivre ses ambitions artistiques et créé pendant plus de 50 ans quasi quotidiennement. Sa carrière est néanmoins éclipsée par tous les grands noms qui l’entourent tels que Paul Valéry mari de sa cousine Jeannie. Paule mène alors une vie assez inhabituelle à Paris où elle restera célibataire et participera notamment aux expositions de groupe organisées par la Société des Femmes Artistes Modernes (FAM), créée en 1931 par Marie-Anne Camax-Zoegger.

Ses aquarelles comme ses croquis sont empreintes de spontanéité et témoignent d’un travail constant et intéressant où un tableau immortalise une scène de la vie courante.

Julie Manet et ses cousines n’est pas seulement une exposition, mais une invitation à redécouvrir des vies pleines de passion, d’art et d’amitié, dans l’écrin unique des Franciscaines à Deauville. La commissaire d’exposition, en s’inspirant du journal de Julie Manet, a soigneusement préparé le lieu qui permet au spectateur de se plonger entièrement dans leur vie.

Le lieu

Cette médiathèque-musée au cœur de la ville de Deauville se situe dans l’ancien couvent des sœurs de l’ordre des Franciscaines. Le magnifique lieu se dédie à une transversalité des pratiques et tente d’ouvrir la culture à tous. Pour cela ils réalisent cette mission en mélangeant l’espace médiathèque avec des œuvres de sa collection permanente et en présentant une programmation culturelle riche dont des expositions et des évènements dans sa salle de spectacle. Rénové et réinventé par l’architecte Alain Moatti, les Franciscaines de Deauville proposent un concept extrêmement original qui respecte le patrimoine tout en étant tourné vers l’avenir.

Laetizia Pietrini

jusqu’au 11 Mai 2025

Les Franciscaines, 145B avenue de la République, 14800, Deauville
du Mardi au Dimanche de 10h30 à 18h30

https://lesfranciscaines.fr/fr